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Quelles leçons tirées après la torture subie par Jean FAI FUNGONG ?

Quelles portées politiques et juridiques les tortures infligées par les hommes de l'armée camerounaise aux populations anglophones auront sur l'avenir du pays ?

Feb 17, 2021 - 6 Minutes

Que se passe-t-il dans l’armée camerounaise ? Voilà la question lancinante que se poserait toute personne de bonne foi après avoir regardé cette vidéo. Pendant 9 minutes 35 secondes, l’infortuné Jean FAI FUNGAONG est torturé par deux gendarmes, deux soldats et quatre policiers. La raison ? Ces hommes en treillis cherchaient à avoir les aveux de Jean sur ses prétendus liens avec les ambaboys.

En fait, Jean FAI FUNGANG vit à Ndu, un village de la zone anglophone du Nord-Ouest. Cette région, et celle du Sud-Ouest, sont en situation de guerre depuis 2016. Les groupes armés constitués de guerriers appelés « ambaboys » réfugiés dans la forêt donnent du fil à retordre aux hommes de l’armée camerounaise. Dans le but de démanteler ces groupes armés, l’armée camerounaise se résigne aujourd’hui à utiliser les méthodes barbares comme les répressions, les tortures, les assassinats et tueries des femmes et enfants et les saccages de maisons par incendies.

Note du Sous-préfet de Ndu, dans le Nord-Ouest (Cameroun)
Note du Sous-préfet de Ndu, dans le Nord-Ouest (Cameroun)

Cette vidéo est mise en ligne circule sur les réseaux sociaux depuis le samedi 13 février 2021. Le communiqué officiel du ministère délégué à la défense affirme que la scène de torture s’est déroulée le 11 février 2021.

  • La première réaction officielle est venue du sous-préfet (Divisional Officer) de NDU dans le département de Donga-Mandung le 14 février 2021. Pour le Senior Executive Officer Adamu Shuaibu Ibrahim, il appelle le commandement de sa circonscription administrative d’appliquer les sanctions disciplaires pour ces hommes en tenue. 
  • A la suite du Divisional Officer, le ministre de la défense entre en scène. Le communiqué signé du 15 février 2021 informe le public et la presse que les tortionnaires ont été mis aux arrêts et transférés à la Brigade Territoriale de la Gendarmerie de NDU. Le ministre affirme ensuite que « les enquêtes disciplinaires, administratifs et judiciaires prescrites par le Haut Commandement et ouvertes par les autorités administratives locales et les forces de défense et de sécurité » seront engagées.  
Communiqué du ministre délégué à la présidence chargé de la défense (Cameroun)
Communiqué du ministre délégué à la présidence chargé de la défense (Cameroun)

Cette attitude des hommes en tenue de l’armée et de la police camerounaise a fait réagir beaucoup d’observateurs. Tous sont unanimes sur la violence et la cruauté du traitement infligé à Jean. Cependant, le contenu de ces réactions révèle l’amertume que chacun Camerounais exprime sur la sauvagerie des comportements des hommes en tenue de l’armée. Voici quelques tendances les plus remarquables que j’ai répertoriées pour vous.

L’incapacité à tenir

Au bout de quatre ans de guerre dans les deux régions anglophones, il faut se l’avouer : l’armée camerounaise est esseulée. Au début de cette guerre, il était convenu que l’armée camerounaise neutraliserait ces ambaboys qui sont trop jeunes et ne maîtrisent pas encore l’art de la guerre. Pour l’armée camerounaise, neutraliser ces groupes armés ne sera qu’une question de jours. Lasses et Incapable de détrôner les guerriers ambazoniens, les hommes en tenues s’en prennent aux civiles, aux populations.

Beaucoup d’analystes affirment d’ailleurs mordicus que ces types de comportement d’une armée sont un signe d’échec. Il n’est pas du tout permis, ne serait-ce que selon le bon sens, d’avoir affaire aux hommes en tenue qui se livrent aux actes d’une barbarie inouïe. Cette condamnation est d’autant plus justifiée que ce sont des hommes prétendument formés, et sensés ne pas ignorer la loi, qui sont appelés à plus de vigilence.

Se voir tenir en respect par les jeunes ambazoniens, les jeunes garçons (parfois aussi de jeunes filles), est comme un signe d’échec. Les hommes en tenues ne le supportant pas se transforment en barbares en jetant l’opprobre sur la population. En conséquence, selon l’avocat Me Amédé Touko, « S'exprime ainsi, un certain énervement, une incapacité, une colère, un échec... Inapte à "pacifier" le NOSO, BIYA a désormais opté pour la politique du pire suivant la logique barbare du TOUS COUPABLES, TOUT LE MONDE PERD. Sonne donc le glas, d'un tyran qui, à délibérément tourné le dos à l'intelligence politique pour régler au Cameroun un problème politique, LA QUESTION ANGLOPHONE ».

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Milice armée et génocide

Dans les tendances et les discours des uns et des autres, il ressort cette accusation fort à propos : l’armée camerounaise est une milice. Comme pour dire qu’il n’existe pas d’armée républicaine au Cameroun, il n’existe qu’une milice tribale. L’accusation de « génocide » que beaucoup attribue déjà à cette guerre civile est justement liée à deux constats. Le premier c’est que les hommes en tenues (soldats, gendarmes et policiers) envoyés dans les zones en guerre sont généralement les francophones. Ce premier constat avait même déjà été fait tout au début de cette guerre. Avec le temps, ce constat s’est petit à petit répandu. Aujourd’hui, et ce depuis un certain temps, les vidéos révèlent l’appartenance ethnique de ces soldats qui n’est nulle autre que celle de Paul Biya : Bulu.

Comment fait-on pour savoir que ces hommes en tenue sont des francophones et plus particulièrement les Bulu ? A travers des vidéos qui sont généralement diffusés sur la toile et créent du buzz, on peut facilement les entendre parler. Ils s’expriment soit en Bulu en français en s’adressant aux personnes originaires des régions anglophones et qui, pour la plupart, ne comprennent ni l’une ni l’autre langue. On se pose donc la question de savoir pourquoi les hommes en tenue envoyés sur les champs de guerre ne sont constitués en majorité que des francophones originaires de la région de Paul Biya.

C’est un élément important dans la constitution d’un dossier d’accusation de génocide, martèlent plusieurs analystes. Dans cette vidéo qui fait actuellement le buzz sur internet, on peut entendre l’un des tortionnaires hurler avec fierté « mebi me ne we élan » en s’adressant à Jean. C’est un langage ordurier en Bulu dont la traduction friserait l’indécence ici.

La récidive et l’impunité

La scène de tortures filmée par une caméra amateur et ventilée sur les réseaux sociaux le 13 février n’est qu’un pavé dans la marre. Au fait, où en est-on avec d’autres soldats qui avaient commis les crimes odieux dans ces régions anglophones ? Les communiqués officiels ont été informatifs dans la volonté du gouvernement de « mener », de « diligenter » une enquête afin de punir les coupables.

En tous les cas, l’opinion n’a jamais été informé de la suite. Mais toujours est-il qu’il reste dans la mémoire collective que les soldats, gendarmes et policiers apparaissent désormais comme des hommes protégés ou des boucs émissaires. Soit ils commettent ces actes de leur plein gré, soit ils ne sont que des exécuteurs d’ordres qui viennent d’en haut. Mais de qui donc ? Ces multiples scènes de violences envers les civils, commises par les hommes en tenue parlant le Bulu, ne cachent-elles pas quelque chose de louche qui prendrait les attributs d’un génocide ?

Si oui, la justice camerounaise est-elle capable de juger les actes de génocide ? La récurrence de ces actes barbares et l’impunité apparente des coupables font penser à l’opinion collective que le gouvernement camerounais n’est pas à la hauteur des enjeux de la résolution de la crise anglophone. Cette opinion collective a donc les bonnes raisons de penser que la justice camerounaise n’est véritablement pas en mesure de juger efficacement des actes de « génocide ».

Ode à la CPI

C’est alors dans cette perspective que la Cour Pénale Internationale (CPI) est directement ou indirectement évoquée dans la plupart des réactions. Le philosophe Fridolin Nke, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ne se limite pas seulement à la classe dirigeante lorsqu’il indexe les coupables, les responsables. Pour lui, « que les idéologues de l’État westphalien, les responsables politiques et les chefs des forces de sécurité et de défense, qui soutiennent la poursuite de cette guerre et en profitent, sachent que, tôt ou tard, ils vont le payer très cher... ». Cet avertissement vaut même pour de simples personnes qui, directement ou indirectement, ont soutenu, par quelque moyen que ce soit, cette guerre parce qu’ils en tirent profits.

Il n’est sans doute pas inopportun de faire valoir le spectre d’une entrée en scène de la CPI. Même si le Cameroun n’a pas signé le Statut de Rome, les personnalités civiles et militaires ne peuvent pas y échapper au cas où le Conseil de sécurité de l’ONU se saisisse de cette affaire avec l’appui, bien évidemment, des Etats-Unis.

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