Tchakounte Kemayou : "La polio m'a empêché de faire le tour du Cameroun"
Du 24 au 27 octobre 2024, le Cameroun lance une campagne nationale de vaccination pour sensibiliser la population à l'importance de la vaccination contre la poliomyélite. Tchakounte Kemayou, blogueur et doctorant en sociologie, partage son témoignage poignant sur les défis qu'il a rencontrés en raison de son handicap causé par cette maladie. À travers son histoire, il met en lumière les préjugés liés à la vaccination et l'impact que celle-ci peut avoir sur la vie des individus.
Je m’appelle Tchakounte Kemayou. Je suis inscrit en thèse de sociologie à l’Université de Douala et je fais du blogging depuis 2013 au sein de la communauté Mondoblog de RFI.
À quel âge avez-vous été diagnostiqué avec la poliomyélite, et quelles en ont été les conséquences sur votre vie quotidienne ?
J’ai été malade à l’âge de 3 ans. Je n’avais jamais été vacciné depuis ma naissance. Évidemment, cela a eu un impact sur ma vie. J’ai commencé ma scolarité très tard, à 8 ans. Mes parents ne savaient pas quoi faire de moi. Ils réfléchissaient encore pendant que mes aînés allaient à l’école. J’ai été interné au centre de réhabilitation et rééducation des personnes handicapées d’Etoug-Ebe à Yaoundé en 1981. Pendant mon séjour, j’étais en maternelle. Faute d’argent, mes parents m’ont fait revenir à Douala deux ans après. Un an plus tard, j’ai repris le chemin de l’école. Ma scolarité a véritablement commencé à 8 ans. La seule conséquence de mon handicap a été la perturbation de ma scolarité, pour être modeste.
Comment avez-vous vécu votre handicap au fil des années ? Avez-vous rencontré des défis particuliers ?
L’un des défis importants a été de lutter contre les préjugés, notamment ceux liés à la sorcellerie. Même mes parents étaient convaincus que mon handicap était l’œuvre de sorciers du quartier qui voyaient en moi un enfant intelligent à éliminer. Cependant, je ne m’y attardais pas, préférant parler d’autres défis. Pendant mon enfance, mon seul défi était de marcher, courir, jouer et me déplacer comme mes pairs. Ce défi était évident et je n’y pouvais rien. Mais le véritable défi a commencé à l’adolescence.
J’étais conscient que je devais rattraper mon retard scolaire. J’étais plus âgé que mes camarades à mon entrée en 6e en 1988 au Lycée de New-Bell à Douala. Avec force et abnégation, j’ai obtenu mon Bac en 10 ans, au lieu de 7 comme mes camarades. Je me suis dit que je ne devais pas lâcher malgré tout. J’ai poursuivi jusqu’en thèse. Il ne me manque que des moyens financiers pour payer la totalité de mes droits universitaires. Bref, j’ai tenu à aller jusqu’au bout parce que c’était un défi pour moi, je voulais me surpasser. Je voulais surtout faire honneur à mes parents et leur prouver qu’ils avaient tort de penser que l’école n’était pas importante pour moi et que je devrais rester un assisté. Ma feue mère l’a finalement compris et m’a avoué que seule l’école pouvait me sortir de ma dépendance financière.
En quoi la poliomyélite a-t-elle limité vos possibilités de voyager à travers le Cameroun ?
Effectivement, l’une de mes passions est de voyager et de découvrir les merveilles du Cameroun et du monde. Le handicap a développé en moi une certaine solitude. Je ne sais pas si c’est une qualité ou un défaut, mais j’aime être seul dans un coin à lire et écrire, d’où ma passion pour le blogging. Quand j’imagine que certaines régions du pays ont un environnement inadapté et hostile, voire inaccessible aux personnes handicapées, je n’ose pas prendre de risques. J’adore particulièrement la nature et ses obstacles. Malheureusement, seules les personnes valides peuvent goûter à ces plaisirs.
Quelles sont les destinations au Cameroun que tu aurais aimé visiter et pourquoi ?
J’adore particulièrement le paysage des régions du Nord Cameroun : la savane, le Sahel, le soleil, le sable, les félins, le mil, l’igname. Ce sont des images qui n'existent que dans ma tête. Je m’imagine découvrir ces merveilles. J’étais déjà dans l’Extrême-Nord pour une opération humanitaire dans un camp de réfugiés, mais je n’ai pas vraiment pu toucher du doigt ces réalités.
Comment penses-tu que les infrastructures touristiques au Cameroun pourraient être améliorées pour accueillir les personnes en situation de handicap ?
Les propriétaires des établissements hôteliers et des lieux de loisirs se soucient peu de l’accessibilité des infrastructures. Seuls les aéroports ont mis en place des mesures pour les personnes à mobilité réduite. Les lieux à améliorer incluent les hôtels, les restaurants, les agences de voyage par route et par train, ainsi que les espaces de loisirs. Il faut investir non seulement dans l’accessibilité, mais aussi dans l’écoute des besoins.
As-tu des suggestions pour promouvoir le tourisme inclusif au Cameroun, afin que des personnes comme toi puissent découvrir le pays ?
J’ai deux suggestions à faire, même si cela relève des pouvoirs de l’État. La première concerne l’accessibilité et l’écoute. À cet égard, le ministère chargé du tourisme doit exiger ces aspects dans l’attribution des étoiles aux établissements. La deuxième suggestion porte sur les coûts des prestations et des services. Seul le train de CAMRAIL applique des prix pour les personnes handicapées. À ce niveau, le ministère chargé du commerce doit jouer un rôle important. Enfin, je pense qu’une mesure efficace serait d’installer une plaque de signalisation à l’entrée des établissements pour informer les usagers que ceux-ci sont adaptés aux personnes handicapées.
En tant que blogueur, comment utilises-tu ta plateforme pour sensibiliser sur la polio et ses effets ?
Dans deux de mes articles, je parle de mon expérience et de mon histoire de handicap. J’explique souvent à mes lecteurs que je suis handicapé à cause de l’ignorance de mes parents. Il est vrai que beaucoup d'entre nous n'ont jamais été vaccinés de leur vie et se portent bien. Que dire alors de ceux qui, comme moi, sont condamnés à vie ?
As-tu des témoignages ou des anecdotes marquantes que tu aimerais partager concernant ton expérience avec la polio ?
L’une de mes expériences marquantes est la première fois que je me suis fait consulter par une médecin canadienne au centre de réhabilitation d’Etoug-Ebe. Je n’avais jamais vu de personne à la peau blanche de ma vie. Dans le bureau se trouvaient un couple de médecins blancs, un homme et une femme. J’avais horriblement peur lorsque la dame me touchait. Je tremblais de peur. Ils avaient de petits yeux bleus, de longs nez et portaient des lunettes rondes. Ma mère, qui m’accompagnait, leur a expliqué que c’était la première fois que je voyais une personne blanche. Les médecins ont éclaté de rire en disant : « Ça va, mon petit, on ne te fera pas de mal. » Heureusement, ma mère était là. Je n’aurais pas supporté cela seul.
Quel message souhaiterais-tu faire passer aux lecteurs à propos de la polio et de l'importance de la vaccination ?
La vaccination en général n’inspire pas confiance. Beaucoup de préjugés et de fausses informations circulent pour décourager les parents. Pour les Africains, comment nos parents, qui ne se vaccinaient pas, ont-ils pu vivre plus longtemps ? La réponse est évidente : autrefois, il était facile de trouver une alimentation bio. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. La mauvaise alimentation et un mode de vie inadapté nous prédisposent à des risques trop grands. La vaccination est donc plus importante aujourd’hui qu’auparavant. Posons-nous la question : pourquoi les AVC sont-ils de plus en plus fréquents ? Il faut souligner que le vaccin contre la polio a une particularité : il peut éviter la paralysie partielle ou totale.
Propos recueillis par Sidoine FEUGUI