Chefferie Ekang Beti de Kribi: Entre Désordre Administratif et Stratégie de Positionnement?
La récente installation de Ndoh Jean Paul comme chef de la communauté Ekang de Kribi soulève des questions importantes. Le groupe Ekang nous dit-on est constitué des Bulu, Ntumu, Ewondo, Fang, Mvae, Eton, Mangissa etc. Dans le département de l'Océan, nous retrouvons certaines de ces ethnies bien établies dans des villages ( Ebea, Fifinda, Itondèfan, Bissiang...). Il faut aussi le préciser, ces ethnies ont à leur tête en plus des chefs de village, des chefs sepérieurs notamment celui des Evouzock à Fifinda. Il est donc normal de se poser la question de savoir à quel mécanisme la désignation de Ndoh Jean Paul a-t-elle obéit? Quelle est la pertinence d'avoir un chef représentant des communautés qui ont déjà des chefs reconnus et qui ont une base territoriale dans le département?
Avant d'aborder cette problématique, il est nécessaire de recadrer l'opinion sur le concept ''Ekang''. La notion ''Ekang'' bien qu'aillant des fondements ethnologiques et sociologiques n'a aucune base juridique. Elle est très utilisée depuis quelque temps pour désigner un ensemble des peuples dits de la forêt, mais les textes officiels du Cameroun ne la reconnaissent pas en tant que composante ethnique. C'est donc, une appellation par défaut pour assimiler des peuples ayant sans doute une proximité linguistique et culturelle voire un passé migratoire commun. La désignation d'un chef, représentant cet ensemble devrait à priori obéir à une approbation générale de tous ceux qui s'y identifient. Dans le cas échéant, rien ne nous dit que celà a été fait. A titre illustratif, les communautés du Nord et de l'Ouest représentées dans la ville, le sont par désignation de leurs chefferies respectives en raison de leur éloignement de leurs régions d'origine et du nombre qu'ils constituent dans leur terre d'accueil, ce qui peut être compréhensible. Encore que, le principe même de «chef» représentant d'une communauté dans un autre village reste équivoque.
Il est par ailleurs important de se demander quelle sera la fonction exacte et le champ d'action de ce nouveau chef à Kribi. La chefferie traditionnelle chez les Bantou étant territoriale par essence, la désignation de ce type de ''chef'' ne vient-elle pas bafouer l'autorité de ceux qui sont dans leurs villages?Ne dit-on pas que, deux coqs ne peuvent chanter sur la même cours?. Au-delà du désordre que cela peut susciter, cette situation ressemble davantage à une stratégie de positionnement dans un contexte où Kribi devient un centre économique attractif. Vous conviendrez avec nous qu'il serait totalement absurde et malvenu que les Bassa du Cameroun désignent un chef de leur communauté à Douala; simplement parce que ceux-ci y ont déjà des chefferies établies. Cette nouvelle manœuvre pourrait être perçue comme une tentative de gagner du pouvoir et de la visibilité dans une ville en plein essor.
Les autochtones de la bande côtière de Kribi se retrouvent dans une situation comparable à celle des Palestiniens face à l'occupation israélienne, avec des terres confisquées et un accès limité aux opportunités économiques. Les chefs de ces communautés sont souvent ignorés ou considérés comme ''rebelles'' par les autorités lorsqu'ils défendent leurs droits. Le dernier cas en date , celui du chef de Bongahelè, récemment convoqué devant l'autorité administrative suite aux barrages érigés par les populations de son village, après des semaines de coupure d'électricité et de négligence de la situation par les concernés.
Quoi qu'il advienne, il sera intéressant de voir comment ce nouveau chef Ekang interagira avec les chefs traditionnels déjà établis, notamment le Chef Supérieur des Evouzock? de voir quelle sera sa place dans les cérémonies officielles? Les dynamiques de pouvoir, les relations entre ces autorités traditionnelles et les nouveaux acteurs vont sans doute influencer l'avenir de la région et des communautés qui y résident.
A moins que cette cacophonie ne soit orchestrée avec la bénédiction de Yaoundé, il est nécessaire que cette situation soit clarifiée et que les pratiques ancestrales et institutionnelles en matière d'organisation des chefferies traditionnelles soient harmonisées. l'État doit protéger les minorités et les communautés de la bande côtière Kribi-Campo le sont. Il est donc évident que si des mécanismes ne sont pas engagés pour mettre fin à ces agissements hégemoniques, ces communautés vont disparaître.