« Moto-taxi », une chanson sur les camerounaiseries
Je viens d’écouter la dernière chanson du rappeur Aaron Jacsson, et je dois reconnaître que j’ai été agréablement bouleversé. Cette chanson s’intitule « Moto-taxi », et le nom d’artiste de son auteur c’est tout simplement A-J...
À première vue, il s’agit uniquement des bendskineurs. Mais quand on écoute le titre, il s’agit plutôt et des bendskineurs, et des conducteurs de voitures-taxis.
A-J a sorti cette chanson le 4 juin 2024, mais en réalité elle était déjà écrite depuis 2019 ! Elle a été inspirée d’une situation qui lui est arrivée alors qu’il se rendait dans son église. Car en voulant prendre un moyen de transport, il s’est vu disputer par un moto-taximan et par un taximan. Les deux protagonistes se sont mis à s’engueuler puis à s’insulter violemment devant notre rappeur, et finalement il a dû les abandonner là pour aller se chercher un autre moyen de transport...
J’ai dit rappeur ? Oui et non. Car même s’il fait de la musique professionnellement depuis 2016 (il a pourtant débuté depuis vingt ans), A-J est à la fois un rappeur mais davantage un mélomane. Il s’est inscrit dans des cours de musique afin de pouvoir perfectionner son chant, ses vocalises, son jeu d’acteur, sa maîtrise des instruments ainsi que son interprétation des notes de musique. C’est ainsi qu’il vogue aisément, à travers sa quinzaine de singles, sur des rythmes tels que le rap —évidemment— ou encore la soul, le zouk, le R&B, le makossa et bien d’autres rythmes internationaux ou traditionnels.
La chanson « Moto-taxi » est un vrai régal ! Elle dure quatre minutes et quarante secondes afin d’être le plus exhaustif possible. Le chanteur y dépeint un environnement conflictuel entre les bendskineurs et les taximans, le tout saupoudré de notre parler local ainsi que de nos nombreuses onomatopées et interjections.
À travers un mélange de voix voire un jeu de rôles, A-J y effectue plusieurs interprétations : il est à la fois le chauffeur du taxi, le conducteur de la moto ou encore le passager ou la passagère de l’un des deux. On se retrouve donc dans ce méli-mélo, dans cette atmosphère parfumée de camerounaiseries que presque tous les Camerounais connaissent par cœur, et cette chanson nous transporte instantanément aux quartiers Ndokoti, Mokolo, Mvog-Ada, Bépanda, Bonamoussadi, etc.
Les clichés les plus retors y sont ressortis, comme les blousons des bendskineurs (qui ne sont jamais lavés, soit dit en passant) ou alors le manque de pièces de monnaie de nos chauffeurs de taxi. Les incivilités routières ne manquent pas, les grillages de feu, les roulements à contre-sens et les insultes qui sont systématiquement balancées à l’emporte-pièce...
Aaron Jacsson, même s’il n’aime pas trop se faire appeler ainsi, est un véritable peintre de notre société. Il en appelle au vivre–ensemble, à l’encadrement de ces activités professionnelles qui sont malheureusement dévalorisées dans notre pays, et à l’éducation civique de tout le peuple camerounais.
Le message est saisissant, et il est bien accompagné par une musique dansante, quoique reposante, mais davantage interpellative. C’est une sonorité makossa teintée de plusieurs autres rythmes, et c’est joué avec du piano, de la guitare solo et de la guitare basse. C’est une chanson qui est non seulement plaisante à l’écoute, mais qui demande aux bendskineurs de faire très attention à leur sécurité, et surtout à celle de leurs passagers.
« Moto-taxi » est un régal acoustique et auditif, et son auteur, s’il reste dans cette même lancée de dénonciation et de qualité vocale, de simplicité et de peinture sociale, frappera à coup sûr un grand coup dans le paysage musical de notre belle nation.
Mais en attendant, Aaron Jacsson précise qu’il y aura toujours des clients pour tous les gens qui exercent dans l’activité du transport ici au Cameroun...
Ecclésiaste Deudjui
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