Cameroun-Ambazonie : Y a-t-il effectivement eu négociations ?
Sisiku Julius Ayuk Tabe, le président autoproclamé de l'Ambazonie et son équipe, d’une part, et le gouvernement de « La République du Cameroun », d’autre part, se sont rencontrés le 2 juillet 2020 à Yaoundé. C’est la substance du communiqué publié par le vice-président de « The Federal Republic of Ambazonia », Dabney Yerima à la suite de ce qui est d’abord apparu comme une rumeur sur les réseaux sociaux, Tweeter et Facebook. Curieusement, seule la partie ambazonienne se prête au jeu de la communication institutionnelle depuis cette date. Du coup, on se pose la question de savoir s’il y a effectivement eu rencontre.
Toute la semaine, à partir du 3 juillet, date de la sortie de Dahney Yerima, la presse camerounaise, internationale et notamment les réseaux sociaux se sont évertués dans la propagation de ce qui était convenu d’appeler la bonne nouvelle. Bonne, parce qu’elle augurait les lendemains de paix dans les deux régions anglophones en guerre depuis presque qautre ans : le Nord-Ouest et le Sud-Ouest (NOSO). Ces divers médias se sont empressés d’évoquer les débuts des négociations (si ce ne sont que les négociations elles-mêmes) qui auraient eu lieu entre le leader anglophone, président de l’Ambazonie, et quelques personnalités de l’Etat camerounais. Beaucoup d’observateurs avaient donc compris et ont tôt fait d’épiloguer sur une éventuelle, voire une probable déculottée de l’armée camerounaise face aux groupe armée ambazoniens. Ce qui n’a pas plu au gouvernement camerounais.

Les clarifications de René Emmanuel Sadi
C’est à la suite de ces commentaires qui criaient déjà victoire pour les Ambazoniens sur les réseaux sociaux que le gouvernement camerounais est donc sorti de sa réserve. Le communiqué du ministre camerounais de la communication et porte-parole du gouvernement stipule bien que « l’information diffusée dans les réseaux sociaux sur la tenue le 02 juillet 2020 de négociations entre une délégation gouvernementale et les sécessionnistes en instance de jugement n’est pas conforme à la réalité ».
Cette sortie de René Sadi a l’avantage de donner deux précisions au moins : d’un, il n’y a eu aucune négociation entre une délégation du gouvernement camerounais et les sécessionnistes, de deux, le ministre ne nie pas l’effectivité d’une rencontre. Le communiqué du gouvernement a donc pour principal objectif de clarifier l’opinion en précisant que les négociations n’ont pas eu lieu contrairement à ce qui est véhiculé sur les réseaux sociaux. Le communiqué de Dahney Yerima ne dit pas non plus le contraire et parle plutôt de rencontre, de pourparlers et non de négociations entre les deux parties en conflit. Sur ce, la colère de René Sadi pourrait donc être compréhensible.

Le RDPC dans l'imbroglio
Mais, seulement, ce qui est curieux dans le communiqué du porte-parole du gouvernement camerounais c’est sa propension à ne pas dire explicitement ce qui serait « conforme à la réalité », selon lui. Ce qui, dans le discours dénote de cette volonté, selon les observateurs, de camoufler alors cette réalité. C’est ce qui expliquerait le doute dans les esprits sur un événement pourtant vrai.
Ce doute est de plus en plus amplifié par les partisans du régime de Yaoundé et les militants du parti au pouvoir, RDPC, qui s’illustrent particulièrement dans la délation et le déni tout azimut de la posture des tenants des discours ambazoniens. Cet imbroglio dans les discours de part et d’autres ne facilite pas la compréhension dans la démarche des acteurs, visibles (leaders ambazoniens, gouvernement camerounais) et invisibles (Conseil de sécurité, États-Unis, Suisse, et surtout la France) dans le règlement du conflit armé.

La presse internationale à la charge
Il faut particulièrement mettre l’accent ici sur la presse internationale qui s’est illustrée dans la clarification d’un tel événement controversé. Il y a d’abord eu le journal Jeune Afrique qui, dans sa version internet du 3 juillet 2020, affirme de source sûre qu’il y a eu rencontre les deux parties : gouvernement camerounais et leaders ambazoniens. Selon le journal panafricain, la rencontre s’est déroulée à l’extérieur de la prison centrale de Kondengui à Yaoundé :
Sisiku Ayuk Tabe, a ainsi été extrait de sa cellule, tout comme Wilfried Tassang et Blaise Shufai, et conduit à l’extérieur de la prison pour y rencontrer Léopold Maxime Eko Eko, patron de la Direction générale de la recherche extérieure (DGRE). À la tête d’une délégation de neuf personnes, dont un représentant du tribunal militaire, Léopold Maxime Eko Eko était missionné par le gouvernement pour connaître les conditions posées par les Ambazoniens pour soutenir un cessez-le-feu effectif en zone anglophone.
A la suite de Jeune Afrique, c’est Rfi qui vient à son tour, dans une publication sur son site internet le 7 juillet confirmer ce qui était encore considéré comme douteux :
Le gouvernement camerounais dément dans un communiqué avoir entamé des « négociations » avec des leaders séparatistes ambazoniens, contrairement à ce qu'annonçait Sisiku Julius Ayuk Tabé la semaine dernière.
Cette tiraille de la chaîne française parle d’une contradiction entre le communiqué de « The Federal Republic of Ambazonia » signé par Dahney Yerima et de celui de « La République du Cameroun du Cameroun » signé par René Sadi. Ce qui n’est pas du tout, car les deux communiqués confirment bel et bien qu’il n’y a pas eu « négociations » entre les deux parties. Bien que Dahney Yerima parle de « rencontre », René Sadi est plutôt muet, mais ne nie pas non plus.
Et la suite...?
Il devient donc difficile de dire exactement ce qui s’est passé en l’absence d’un communiqué du gouvernement camerounais pour dire explicitement la réalité des faits. Bien que plusieurs sources confirment la rencontre, le contenu des discussions reste sujet à caution. Il ne faut surtout pas oublier que le Conseil de Sécurité de l’ONU, tel que l’a annoncé Dahney Yerima, est cité comme la partie qui a été à l’origine de la rencontre, sans oublier le facilitateur, l’archevêque métropolitain de Yaoundé, Monseigneur Jean Mbarga. Aucune de ces parties en présence n’a daigné communiqué sur la rencontre, qui n’est pas la seule, selon certaines sources. La première a eu lieu quelques semaines avant.
Pourquoi seule la partie ambazonienne est-elle prompte à communiquer ? Quel serait l’intérêt de la partie du gouvernement camerounais à se muer en silence ?
La guerre de la communication ne fait que commencée.