Le Cameroun ne mérite pas Francis Ngannou !

Depuis la nuit de samedi à dimanche, c’est pratiquement tout le monde qui parle de la boxe anglaise ! Les Camerounais sont devenus des experts de l’art pugilistique, et la « victoire » de Fury est devenue le symbole du sport-business, du racisme caractérisé, de la domination des peuples occidentaux sur les représentants de la race panafricaniste...

Pour revenir à la boxe, disons que ce combat entre Francis Ngannou et Tyson Fury a été phénoménal, voire épique. Et la « défaite » du Camerounais l’a rendu d’autant plus légendaire, car c’était une injustice à ciel ouvert.
Mais alors, comment un modeste fils de la ville de Batié, a-t-il pu franchir les échelons pour se hisser au plus haut sommet du sport mondial ?

Je commence par regretter que la République du Cameroun, à travers ses membres du gouvernement, n’a pas pensé devoir accompagner Francis Ngannou. N’eurent été quelques manœuvriers de l’ombre (Junior Rengou et Raphaël Nkoa, pour ne pas les citer), la CRTV n’aurait même pas retransmis cette rencontre. Et pendant que nos couleurs étaient défendues loin à Riyad, la Première dame se prélassait tranquillement au Palais des congrès de Yaoundé, où avait lieu la cérémonie des Canal d’Or.
Car comment peut-on organiser une cérémonie des awards, le même jour et à la même heure que devait se tenir le combat de notre champion mondial Francis Ngannou ?

Si on veut pousser le bouchon plus loin, on aura de quoi se mettre en colère. Car non seulement le gouvernement ne l’a pas accompagné médiatiquement, mais le Ministère des sports n’a pas officiellement soutenu Francis Ngannou avant son combat : aucun tweet, aucun communiqué, aucune initiative. Aucun déplacement d’aucune délégation pour l’Arabie saoudite, afin de se mettre à la hauteur de l’événement. Aucun charter. Aucune facilitation de voyages pour les compatriotes qui auraient pourtant souhaité effectuer le déplacement, bref, aucun soutien !

Mieux, depuis le combat de Ngannou, les dirigeants camerounais n’ont pondu aucun communiqué. Au contraire, si ce dernier avait gagné son duel, ils l’auraient reçu en grandes pompes à la Primature ou à la Présidence de la République, pour le féliciter.
Mais le féliciter de quoi au juste ? D’avoir pris la route l’émigration clandestine ? De s’être battu tout seul ? De s’être fabriqué de lui-même ? D’avoir déserté son propre pays à travers le désert, pour se forger son propre destin parce qu’il ne l’aurait jamais amélioré s’il était demeuré dans son propre pays ?

Car laissez-moi vous dire que Francis Ngannou est aujourd’hui au sommet de la boxe mondiale, et pourtant il n’y a pas de boxe dans son pays d’origine. Les amateurs de cette discipline sont obligés de s’entraîner à la volée, sur quelques champs épars. Il n’y a plus de salle de boxe au Cameroun. Les anciens centres comme le Camp de l’Unité à Yaoundé, sont devenus de véritables broussailles. Et la petite association qui nous sert de fédération nationale, se débrouille tant bien que mal, sans aucuns moyens. D’ailleurs lorsqu’elle va à l’extérieur pour des compétitions internationales de boxe anglaise, ses compétiteurs prennent la clé des champs ! Ils abandonnent leurs affaires personnelles dans leurs chambres d’hôtel, ils font semblant d’aller prendre de l’air, puis ils s’évaporent dans les rues de Madrid, Paris, Londres, New York, etc, tout simplement parce qu’ils sont à la recherche d’un avenir plus prometteur...

Même dans le football, vous n’avez qu’à observer. Notre équipe nationale fanion est un ramassis de joueurs éparpillés, qui ne se connaissaient même pas auparavant. On apprend que tel footballeur joue en Turquie, en Suisse, à Chypre, et qu’il est à moitié camerounais, et on le convainc de rejoindre notre sélection en tant que binational.
Il n’y a pas de suivi. Il n’y a pas de plan de formation. Il n’y a pas de cohérence. Nous avons un championnat local et pourtant nous n’en utilisons aucun joueur. Les enfants sont abandonnés à leur triste sort, ils sont utilisés lorsqu’ils sont performants puis rejetés ensuite, et c’est comme ça que le cycle recommence, avec des joueurs qui se sont fabriqués tout seuls mais que nous prenons toujours le soin de vouloir récupérer.

Francis Ngannou, le Cameroun ne te mérite pas ! Mais au contraire, nous sommes fiers de ton patriotisme. Tu aurais pu abandonner cette nationalité inutile, pour acquérir l’appartenance américaine ou bien française, qui t’auraient accordé un soutien et un accompagnement indescriptibles.
Le Cameroun est un tueur de génies, il est un fabricant de frustrations, et il broie les nombreux Francis Ngannou qui sont pourtant très nombreux autour de nous. Le Cameroun n’a pas célébré tes illustres prédécesseurs que sont Jean-Marie Emémé et Joseph Bessala. De valeureux boxeurs dont le second avait ramené la médaille olympique en 1968, mais ne me demandez pas comment est-ce qu’il a terminé sa misérable vie le 24 avril 2010 [...]

Ils ont fait croire au peuple camerounais qu’il n’y avait que le football qui comptait, et pourtant samedi soir, 29 millions de Camerounais ont vibré pour la boxe ! Comme ils sont prêts à vibrer pour le handball, pour le karaté, pour le tennis de table, si et seulement si on avait une politique sportive générale, avec des disciplines qui sont toutes équitablement considérées.

D’ailleurs je vais finir par un exemple : depuis que Françoise Mbango avait ramené la médaille d’or aux jeux olympiques 2004 et 2008, qui peut me dire ce que le triple saut en longueur est devenu au Cameroun ?

Ecclésiaste Deudjui
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