Francis Ngannou, héros national !

Lundi dernier pour ceux qui vivent à Douala, ils ont sûrement vu défiler un cortège poursuivi par une foule immense, sur un trajet qui a presque fait le tour de la ville.
Il s’agissait de Francis Ngannou. Enfin, ce n’est pas lui qui était au volant mais c’est surtout lui qu’on venait nous présenter. Il a brillamment remporté le championnat du monde de MMA depuis la nuit du 28 mars 2021, mais il a fallu attendre un mois plus tard pour qu’une entreprise privée (MTN, pour ne pas la citer) organise cette « cérémonie » populaire de présentation de sa ceinture...
L’heure n’est pas à la polémique, car Francis Ngannou est aujourd’hui une fierté nationale. Il possède actuellement une notoriété et un capital-sympathie qui sont quasiment inégalables. Il est le Samuel Eto’o Fils de la boxe internationale. Il est toujours souriant, il ne s’embourbe pas dans les affaires politico-politiciennes, et surtout il est jeune, beau, fort, riche et célèbre. Que lui demander de plus ?
Francis Ngannou s’est pourtant forgé tout seul. Si l’on excepte sa famille nucléaire, car il est très reconnaissant envers sa maman qui l’a toujours soutenu durant ses moments difficiles. Celle-ci est d’ailleurs très heureuse –à juste titre– de bénéficier des fruits de ses encouragements et de son labeur. Sauf que la ville dans laquelle notre champion a grandi (Batié), la région qui l’a vu naître (Ouest), et même l’Etat du Cameroun dont il a la nationalité, n’ont jamais rien fait pour lui !
Celui qu’on veut présenter aujourd’hui comme un héros national était un simple casseur de pierres il y a encore quelques années, et ce n’est que son seul courage et sa témérité qui l’ont poussé à tenter sa chance en aventure.
L’aventure ! Ou comment aller en Occident sans papiers, sans avion et sans aucune commodité. Le désert ! Les arnaques. Les prisons. Les passeurs. Les polices des frontières. Même la boxe qu’il pratique aujourd’hui et dont nous sommes actuellement si fiers, Francis Ngannou ne l’a pas apprise au Cameroun. Il s’est formé à cette discipline pour s’en sortir en France, après avoir dormi sous les ponts et avoir mangé dans les restaurants populaires... Tsuip !
J’ai dit, pas de polémique.
Mais la récupération politique dont font montre et les gouverneurs, et les ministres camerounais, me paraît quelque peu mal placée voire cynique et désobligeante. Combien de Francis Ngannou croupissent dans nos prisons actuellement ? Combien de Samuel Eto’o Fils dorment dans les rues camerounaises ? Combien d’artistes de génie vont mourir ici sans bénéficier du moindre accompagnement gouvernemental, ni de la moindre promotion d’initiative privée ?
Pourquoi attend-on toujours que des gens se fabriquent tout seuls, au détriment parfois de nos railleries et de nos découragements, pour venir faire ensuite comme s’ils étaient un pur produit de notre politique d’encadrement ?
Je trouve cela injuste.
Francis Ngannou est un héros tout court. Il est camerounais de nationalité et d’origine, mais ce n’est pas du tout un boxeur camerounais. Ce n’est pas un héros camerounais. C’est un self made man comme on en voit tous les jours disparaître dans notre pays, et c’est encore bien dommage que ce soit un privé qui mette en avant ce brillantissime compatriote.
Nous avons l’art de courir derrière les gagnants, et pourtant nous oublions pitoyablement les millions de perdants que nous avons fabriqués.
Ecclésiaste Deudjui
(+237) 696.469.637