Le Musée National du Cameroun perd son directeur, le Pr. Hugues Heumen Tchana
Il avait su incarner une muséologie vivante, résolument tournée vers les publics.
Le Professeur Hugues Heumen Tchana, Directeur du Musée National du Cameroun depuis 2021, s’est éteint ce jeudi 9 octobre 2025 après une longue maladie. Son décès laisse un vide immense, tant il avait su incarner une muséologie vivante, résolument tournée vers les publics, le dialogue entre les temps, et l’ouverture au monde. Le monde de la culture camerounaise perd l’un de ses plus fervents défenseurs.

Une trajectoire forgée dans l’exigence et la passion du patrimoine
Formé à l’Université Senghor d’Alexandrie, en spécialité « Gestion du patrimoine culturel », le Pr. Heumen Tchana a rapidement trouvé sa vocation : penser les musées non comme des mausolées, mais comme des lieux d’échanges, de savoirs et d’interprétation.
Avant sa prise de fonction à Yaoundé, il fut enseignant-chercheur à l’Université de Maroua, un passage marquant où il a su transmettre aux jeunes générations une vision contemporaine et inclusive du patrimoine.
Le 25 janvier 2021, il est nommé à la tête du Musée National du Cameroun par décret, succédant à Asombang Raymond Neba’ane. Moins d’un an plus tard, il est élevé au grade de Chevalier de l’Ordre du Mérite Camerounais pour les Arts et la Culture. Une reconnaissance de l’État pour un homme déjà pleinement engagé sur le terrain.
Pr Hugues Heumen Tchana conduit une visite guidée au Musée National du Cameroun. Crédit : Musée National du Cameroun
La vision du Pr. Hugues Heumen Tchana : faire dialoguer patrimoine, art contemporain et mémoire
Dès son arrivée, le Pr. Hugues Heumen Tchana affirme une ligne claire : faire du Musée National un espace de médiation culturelle. Son ambition est triple :
- Ouvrir le musée à la contemporanéité, en y intégrant les expressions actuelles et les artistes vivants du Cameroun ;
- Reconnecter le musée avec les communautés, notamment les jeunes, les écoles, les populations rurales ou marginalisées ;
- Dynamiser les partenariats internationaux pour inscrire le musée dans une logique d’échanges Sud-Sud et Nord-Sud.
Il parlait souvent du musée comme d’un « lieu de résonance » où se croisent héritages, vécus et récits pluriels. Une posture à contre-courant de la muséologie classique.
Expositions marquantes : trois temps forts de son mandat
Le travail du Pr. Heumen Tchana s’est notamment illustré par des expositions puissamment signifiantes, aux partis-pris affirmés :
Contact(s) Zone (janv.-avr. 2022)
Cette exposition inaugurale de sa direction, conçue en partenariat avec le CIPCA, est un manifeste. Elle valorise les créateurs contemporains camerounais, interroge le musée comme lieu de rencontre entre le passé et les pratiques actuelles. Une déclaration d’intention.

Septentrion : dynamiques entre passé et présent (juil.-déc. 2024)
Avec cette exposition co-commissariée avec Émilie Salaberry-Duhoux, il a mis en lumière les cultures du Nord, de l’Adamaoua et de l’Extrême-Nord, souvent invisibilisées. Une riche collaboration avec le Musée d’Angoulême et l’Institut Français du Cameroun.

Il était une fois la naissance du Staat Kamerun (oct. 2024 – fév. 2025)
Exposition historique sur la colonisation allemande, elle marque un tournant dans la réflexion sur la restitution des objets culturels et la décolonisation muséale. En lien avec doual’art, le Goethe-Institut et des partenaires allemands, cette exposition interroge la construction du récit national.

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Pr. Hugues Heumen Tchana, penseur du musée, au-delà du terrain
Auteur de plusieurs articles scientifiques, le Pr. Heumen Tchana laisse également un livre de référence : Musées nationaux d’Afrique : rôles et enjeux – le Musée national de Yaoundé (L’Harmattan, 2014).
Il y explore les défis d’une muséologie africaine : médiation, inclusion, marketing culturel, dialogue interculturel.

Ses écrits et ses conférences auront permis de nourrir le débat sur : la mémoire collective ; les relations entre musées et écoles ; la représentation des diversités culturelles nationales ; et surtout, la décolonisation des savoirs muséographiques.
Héritage et chantiers en suspens
Son passage au Musée National du Cameroun ne se résume pas à des expositions. Il aura initié une redynamisation structurelle, en travaillant sur :
- la modernisation des infrastructures ;
- la visibilité numérique du musée ;
- les réseaux internationaux de coopération culturelle ;
- la démocratisation de l’accès au patrimoine pour tous les publics ;
- la restitution des oeuvres.
Sa disparition soudaine laisse plusieurs projets en chantier — notamment les perspectives ouvertes par Il était une fois le Staat Kamerun, en lien avec les débats sur les restitutions et la justice patrimoniale.
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En guise d’au revoir
Le Professeur Hugues Heumen Tchana ne dirigeait pas un musée : il l’animait, au sens le plus noble du terme. Il croyait au pouvoir des objets, à la force des récits, à l’intelligence des publics. Pour lui, un musée devait faire société. En cela, il a su placer le Musée National du Cameroun dans une dynamique de transformation profonde.
Aujourd’hui, alors que les rideaux se ferment sur sa vie, son œuvre reste ouverte, inspirante, à poursuivre.
Reposez en paix, Professeur.
Votre vision vivra.