La vie compliquée de Tchana-Robert
By nelly Carelle
Les chroniques de Nelly Carelle
**Chapitre 2**
*L’arrestation*
Le lendemain, comme à l’accoutumée, je me préparais pour l’école. J’arborais ma vieille tenue de classe dont la couleur bleu foncé s’apparentait plutôt à une teinte claire, tant le tissu était usé.
Cela faisait déjà quatre ans que je la portais, depuis mon entrée au lycée en classe de sixième.
À 14 ans, j’étais en classe de troisième, et j’étais d’ailleurs la plus jeune de ma classe à cette époque. Mes camarades se moquaient parfois de mon accoutrement.
Les enfants pouvaient se montrer très cruels en milieu scolaire envers ceux qui étaient plus vulnérables.
Ils ne comprenaient pas pourquoi « la fille à la peau blanche, la Metoch », comme ils me surnommaient, était aussi négligée. Il faut dire que ça m’arrivait d’avoir les nattes pendant plus de deux semaines.
C’est Sally, lorsqu’elle avait du temps, qui me faisait des nattes. Ma mère ne savait ni coiffer, ni prendre soin d’un enfant. D’ailleurs, elle-même avait du mal à entretenir son propre corps.
À trente ans, elle paraissait en avoir vingt de plus. L’alcool et la drogue avaient bousillé son corps. Elle se laissait aller aux plaisirs destructeurs de la vie.
Durant la journée, j’avais affreusement mal aux fesses, comme si elles bouillonnaient de l’intérieur. Je préférais m’asseoir sur mes genoux pour suivre les cours.
Ma camarade de banc l’avait remarqué et, comme à chaque fois, je lui servais un mensonge. Cette fois-ci, j’avais fait une chute et j’étais tombée sur mes deux fesses.
Mais je savais au fond de moi qu’elle n’y croyait pas. Vu les marques de fouet qu’elle observait à chaque fois que ma mère me donnait une fessée, elle se doutait bien que j’étais un enfant battu. Un jour, elle eut le courage de me le dire…
— Aya, tu devrais dénoncer ta mère aux services sociaux. Un jour, elle te tuera. Tu me fais de la peine.
— De quoi tu te mêles ? Ne parle plus ainsi de ma mère. Elle sait ce qui est bien pour moi. Je lui avais craché cela au visage.
Au fond de moi, j’avais si honte. Ma camarade avait dit tout haut ce que je refoulais au fond de moi. Et si, réellement, un jour ça se produisait et que ma mère en finisse avec moi ?
C’était impensable. Malgré toutes les sévices qu’elle m’infligeait, j’étais tout de même son enfant. Un parent ne ferait jamais une telle chose. Sur ces mots, j’essayais de me convaincre…
Les cours étaient terminés. Je pris la route de la maison avec une démarche nonchalante à cause de la douleur.
Je vis des voisins dans notre cour commune. Je me demandais bien ce qui se tramait, d’autant plus que cette affluence était visible du côté de la chambre que j’occupais avec ma mère.
Je me faufilai entre la foule et vis deux policiers menotter ma mère. Annie était près des policiers, le visage enflé et meurtri par la bagarre de la veille.
Sally me vit, s’approcha de moi et me prit dans ses bras. J’avais tout compris, ils l’emmenaient car elle avait fait du mal à Annie. Mais pourquoi je pleurais ? Ne devrais-je pas être fière ?
Au moins, j’aurais un peu de répit…
Bon sang, c’était ma mère, je n’arrivais pas à lui souhaiter le pire. Je me dirigeai vers Annie, me mis à genoux en pleurs et la suppliai :
— S’il te plaît, Annie, ne les laisse pas l’emmener. Je te demande pardon pour les fautes de maman. Je n’ai qu’elle au monde.
Sois clémente, je t’en supplie.
Annie fut prise de pitié, elle m’aimait beaucoup, mais c’était ma mère qui posait problème. Elle lui avait fait beaucoup de mal.
— Écoute, ma petite Aya. Je n’ai rien contre toi, mais ta mère doit répondre de ses actes.
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Ils l’emmenèrent au poste de police situé près de la prison centrale de New Bell. Je n’avais plus la force d’aller écouler la marchandise de la journée.
Le soir, Sally informa Hakim et Sahib. Tous essayèrent de me consoler, mais j’étais peinée. Si ma mère allait en prison, avec qui allais-je vivre ? Je n’avais qu’elle dans cette triste vie…
Les deux frères ainsi que Sally tentèrent de plaider sa cause auprès d’Annie pour qu’elle retire sa plainte, mais celle-ci était bien décidée : elle ne voulait rien entendre.
Je m’étais rendue au poste accompagnée de Sally, mais les policiers rétorquèrent que ma mère ne souhaitait pas nous voir.
Je n’y comprenais rien : nous lui avions apporté à manger, mais elle refusait de nous voir. Nous rentrâmes, et j’étais encore plus triste.
~Le lendemain, au poste de police~
— Bonjour Monsieur, en quoi pouvons-nous vous rendre service ?
— Bonjour officier. Je suis Monsieur Ndang, opérateur économique et PDG des stations-service Petrolect…
J’ai une amie que vous gardez ici, Madame Tchana. Je souhaiterais m’entretenir avec le commissaire.
Au vu de ses titres et de son accoutrement, l’officier se leva et afficha un large sourire.
Dehors, une grosse Prado noire était garée, son chauffeur attendant patiemment au volant.
— D’accord Monsieur Ndang, veuillez patienter un instant, je vais l’informer.
— D’accord. Monsieur Ndang prit place sur la chaise que l’officier lui présenta. Ce dernier se précipita dans le couloir et alla frapper à la porte du commissaire, qui lui dit d’entrer.
— Bonjour mon commissaire. Un Monsieur nommé Ndang, opérateur économique et PDG des stations-service Petrolect, souhaite vous voir.
Il est là pour le cas de la dame que nous avons ramenée au commissariat, Mademoiselle Tchana.
— Qu’est-ce qu’une droguée comme elle pourrait faire avec un homme respectable comme lui ?
— Je n’en sais rien, mon commissaire. Mais cette affaire pourrait être fructueuse pour nous. Je suis certain qu’il sera prêt à payer n’importe quelle somme pour cette dame, vu son engagement.
— Tu as raison, officier Matip. Faites-le entrer.
— À vos ordres, mon commissaire. Il s’exécuta. Monsieur Ndang fut conduit dans le bureau du commissaire et reçu par celui-ci.
— Bonjour mon commissaire.
— Bonjour Monsieur Ndang.
— Mon amie, Mademoiselle Tchana, a eu une altercation avec sa voisine et s’est retrouvée au commissariat après que celle-ci lui a porté plainte pour coups et blessures.
— Effectivement, cela s’est produit hier. Mais permettez-moi de vous poser quelques questions.
— Comment pouvez-vous fréquenter cette femme ? C’est une droguée et, de surcroît, une prostituée. Plusieurs fois, nous l’avons déjà raflée avec ses amies…
— Je sais tout cela. Laissons ce débat de côté et dites-moi combien je dois débourser pour qu’elle soit libre. On peut s’arranger, je ne souhaite pas qu’elle finisse en prison.
Elle a une enfant qui se retrouverait seule si cela devait arriver.
— Je comprends. Il y a toujours une solution à un problème. Combien êtes-vous prêt à verser pour cette femme ?
— L’argent n’est pas un problème pour moi.
— D’accord, versez cinq cent mille francs CFA et elle sera libre dès maintenant. Nous allons étouffer l’affaire. Monsieur Ndang sourit, sortit son téléphone et passa un coup de fil.
— Salif, viens avec ma mallette, je suis dans le bureau du commissaire. Dépêche-toi. Puis il raccrocha. Le commissaire se demanda ce que pouvait bien contenir cette mallette.
Son chauffeur ne perdit pas de temps, et en moins de cinq minutes, il déboula dans le bureau du commissaire avec une mallette noire à la main. Il la tendit à son patron, qui l’ouvrit.
Le commissaire fut abasourdi par son contenu : des liasses d’argent brillantes. Qui était réellement cet homme ?
se demanda-t-il. Il devait certainement être très riche, vu ce qu’il détenait en termes d’entreprises.
Il sortit dix liasses de billets, chacune renfermant vingt billets de dix mille francs CFA, soit un montant de deux millions de francs CFA. Il les posa sur la table, le commissaire restait bouche bée.
Monsieur Ndang remit la mallette à son chauffeur, qui regagna aussitôt le véhicule. Monsieur Ndang prit les liasses dans ses mains.
— Voici cinq cent mille francs pour sa libération. Un million, c’est pour vous. Il les posa et resta avec le reste.
— Merci Monsieur Ndang. Vous êtes très généreux.
— Je vous en prie. Ne tracassez plus Mademoiselle Tchana, s’il vous plaît. Adressez-vous à moi si elle commet un quelconque délit. Voici ma carte. Il la tendit au commissaire.
— Ne vous inquiétez pas, vous n’aurez plus à vous en faire. Elle sera désormais sous notre protection.
Le commissaire ordonna à l’un des officiers de la libérer de sa cellule. Celle-ci ne fut pas surprise de voir son bienfaiteur, elle l’avait appelé la veille.
Avant de quitter le commissariat, M. Ndang partagea les cinq cent mille francs CFA aux cinq officiers en service au poste, à raison de cent mille francs CFA chacun.
Tous étaient heureux, ils ne s’attendaient pas à ce que cette journée soit aussi fructueuse.
Le commissaire raccompagna Mlle Tchana avec M. Ndang jusqu’à la voiture et ne manqua pas de leur dire au revoir. Durant le trajet, tous deux eurent une conversation.
— Tu ne changeras donc jamais ? Une délinquante reste une délinquante.
— C’est elle qui m’a provoqué. Tu me connais, je ne me laisse jamais faire.
— Tu la fermes, sale pute. Tu es répugnante. Elle ne dit aucun mot. La peur s’empara d’elle.
— Tu m’en dois une. Ta fille sera mienne, j’espère qu’elle est toujours pure.
— Bien sûr qu’elle l’est. Je ne sais pas de qui elle tient ça, mais malgré la mauvaise influence que je peux être pour elle, elle marche du bon côté. Parfois, je l’envie.
— Tu dois avoir honte de toi. Je te donne de l’argent pour prendre soin d’elle afin qu’elle soit présentable le moment venu, mais tu passes ton temps à consommer de la drogue et à nourrir tous les tolards de Douala. Mère indigne.
— Je sais, je ne la mérite pas. Mais c’est de sa faute. Si son idiot de père ne m’avait pas pris mon innocence et abandonnée comme une vieille chaussette, je ne serais pas devenue celle que je suis aujourd’hui.
— Sache que je viendrai la prendre. Ça ne saurait tardé. Elle se mit à pleurer.
— Au moins, je sais qu’elle sera bien dans ce mariage, elle sera aux petits soins et ne manquera de rien. Je n’ai pas su lui donner la vie qu’elle méritait. Je suis une mauvaise mère.
— Tu n’auras plus à t’en faire. Vu tout l’argent que je te verserai tous les mois, tu en auras assez pour vivre une vie de luxe et t’acheter du crac pour toute la vie.
Tchana Marie était née à Douala. Enfant désavouée et unique à sa mère, elle n’avait guère connu son père. Elle était le fruit d’une nuit…
une enfant issue d’un viol dont le père avait fui toute responsabilité.
Marié à cette époque et père de trois enfants, il ne souhaitait pas ajouter d’autres charges à ceux qu’il avait déjà.
Sa mère travaillait pour un couple de fonctionnaires, et le patron avait profité de la naïveté de la jeune villageoise.
Malgré son refus de céder aux avances de son patron, celui-ci la harcelait et avait des gestes déplacés en l’absence de sa patronne.
Un soir, profitant de l’absence de sa femme et de ses enfants, car ceux-ci étaient allés au village pour quelques jours, il s’était introduit dans sa chambre et lui avait pris son innocence de force.
Il avait menacé farouchement de garder le secret sous peine d’être renvoyé.
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C’est ainsi qu’elle devint son jouet durant ces jours. La jeune fille n’eut point de repos face aux viols incessants de son bourreau.
Trois mois plus tard, sa patronne avait vu le corps de sa ménagère changer : ses seins avaient pris de l’ampleur, elle était fatiguée et dormait en permanence…
Le diagnostic tomba : elle était enceinte de trois mois et quelques semaines. Celle-ci, après des menaces et des coups de fouet de sa patronne, se résolut à dire qui était l’auteur de sa grossesse.
Celle-ci ne l’avait pas bien prise ; au lieu de s’en prendre à son mari, elle préféra jeter sa ménagère dehors, une cousine éloignée dont elle prenait soin depuis près d’un an…
Avec ses économies, la mère de Marie Tchana retourna auprès de ses parents et conçut sa fille.
Malheureusement, elle décéda en mettant sa fille au monde. Marie était brillante, âgée de quinze ans, elle faisait la classe de quatrième et faisait la fierté de sa grand-mère.
La mère de Marie avait une sœur consanguine au nom d’Alberta, qui vivait en Occident depuis quelques années.
Elle était revenue au pays avec son mari, un Français du nom de Paul Robert. Un bel homme brun, grand de taille, à la carrure de mannequin. Il était ingénieur diplômé de la prestigieuse école polytechnique de Paris.
C’est ainsi que tout le village était en extase : le Blanc était là. Ce fut la fête.
Alberta attendait un enfant et comptait vivre un bon moment à Douala avec son mari.
Elle souhaitait aussi avoir de l’aide de la part d’une enfant de la famille, qu’elle prendrait en charge et financerait ses études. En échange, cette enfant devait simplement l’aider dans certaines tâches ménagères.
La grand-mère de Marie n’avait plus assez de force pour s’occuper de sa petite-fille.
Celle-ci était devenue son aide, et elle ne désirait pas se séparer de sa petite-fille, au vu du passé difficile de sa fille. Mais Alberta avait su la convaincre.
Marie semblait être une jeune femme posée et aimable, et parmi toutes ses cousines, c’était sur elle qu’Alberta avait porté son choix.
Elle promit à la grand-mère de faire de sa petite-fille une grande dame et d’honorer la mémoire de sa mère. Finalement, la grand-mère céda.
C’est ainsi que le couple Robert emmena la jeune Marie avec eux à Douala.
Les premiers mois se déroulèrent bien, Alberta envoyait des vivres chaque mois au village pour la grand-mère de Marie. Six mois après son arrivée en ville, la nouvelle tomba : la grand-mère était décédée, suite à une maladie.
Cette nouvelle fragilisait Marie, car c’était sa dernière parente proche depuis le décès de son grand-père, cinq ans plus tôt. De plus, elle n’avait jamais connu sa mère.
Le couple accompagna Marie au village pour les obsèques et prit tout en charge. Tout se déroula dans de bonnes conditions. Elle n’avait plus que sa tante et son mari comme famille désormais.
Mais ce que Marie ne savait pas, c’était que le regard du mari de sa tante devenait de plus en plus pesant. Il ne la voyait plus comme sa nièce par alliance, mais comme une femme...
À seulement quinze ans et quelques mois, Marie avait de belles courbes africaines et un beau teint noir luisant, c’était une très belle jeune fille.
C’est ainsi qu’il commença à lui faire des remarques et des compliments sur son physique. Marie en riait sans arrière-pensée, ne se doutant pas que son beau-oncle avait des idées bien plus sombres. Paul se mit à lui promettre le rêve français.
Il lui disait qu’il la ferait étudier dans les plus grandes universités françaises, qu’il lui ferait bientôt quitter le pays.
Marie avait les étoiles plein les yeux. Elle se disait que Dieu ne l’avait pas oubliée malgré les tempêtes qu’elle avait traversées. Le beau temps était à l’horizon.
L’accouchement d’Alberta ne se déroula pas comme prévu. Elle était à huit mois de grossesse lorsqu’elle fut prise de contractions. Le bébé naquit prématuré, avec une déficience cardiaque. Il resta en couveuse quelques jours, mais malheureusement, il mourut. Ce fut un coup dur pour le couple. Alberta sombra dans une dépression.
Marie lui apportait son soutien comme elle le pouvait. Paul en avait assez de trouver sa femme dans un état lamentable quand il rentrait du travail. Il se rapprocha de Marie, mais celle-ci ne savait pas que ses intentions étaient malsaines.
Marie réussit brillamment son examen de fin de premier cycle. Paul lui proposa une journée au restaurant et au cinéma.
La jeune fille s’était amusée comme une folle, toute heureuse de la nouvelle vie qui lui souriait. Mais elle ignorait que son futur bourreau lui concoctait un plan des plus lugubres.
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