Ce lien entre nous
Tome 3
Chapitre 13, part 1
#Alexia
Le trajet à ses côtés m’a semblé interminable. J’avais l’impression de suffoquer, pourtant il n’avait rien fait de déplacé. Lorsque nous sommes arrivés, j’ai ressenti un soulagement profond, mais qui fut de courte durée quand j’ai vu où le véhicule s’était arrêté.
— Qu’est-ce qu’on fait là ?
demandai-je, anxieuse.
— On va faire nos réservations avant de nous rendre au lieu de cérémonie.
— Je comptais dormir dans la concession familiale.
Il me fixe intensément l’instant d’après.
— Tu n’aurais pas été à l’aise.
— Qu’est-ce que vous en savez ? Pourquoi vous avez toujours cette manie de croire que vous savez exactement tout ce qui est bien pour moi ? Pourquoi voulez-vous toujours prendre les décisions à ma place ?
— Je sais ce qui te convient, Alexia !
— N’importe quoi.
Je hausse le ton sans le vouloir, et il remonte la cloison de séparation puis se tourne vers moi d’un air froid.
— Que ça soit bien clair, un adulte, ça s’exprime avec des mots et de manière posée. Je suis allergique aux accès de colère et éclats de voix.
J’ouvre la bouche, prête à répliquer, mais il m’en empêche.

— Je n’ai pas terminé, alors souffre de m’écouter, petite fille.
Là, c’est la meilleure. Comment vient-il de me traiter ? De gamine ? Sérieux ?
— Comment vous venez de m’appeler ? soufflai-je, sidérée.
— Tu as très bien entendu. Maintenant, écoute. Tu veux être traitée en adulte ? Commence par te comporter comme tel.
Je serre les poings, la mâchoire crispée. Il n’élève pas la voix, mais chacune de ses phrases tombe comme une gifle.
— Pour qui vous prenez-vous pour me dire de telles choses ? Vous ne savez rien de moi, rien du tout.
— Alexia, arrête de mener des combats perdus d’avance et suis-moi.
Sans attendre un autre geste de ma part, il sort du véhicule et ferme la portière. Je me sens vulnérable, furieuse. Je perds le contrôle face à lui à chaque fois, et ça, ça ne me ressemble pas. Je refuse de le laisser avoir autant d’ascendance sur moi.
Je quitte le véhicule à mon tour et m’approche de lui à grands pas.
— Je ne vais pas dormir dans cet hôtel. Je vous remercie de m’avoir conduite ici, même si c’était forcé, mais sachez que dès à présent, vous n’avez plus aucun rôle à jouer dans ma vie.
J’aligne les mots dans un souffle, et quand je me tais, ma poitrine se soulève de manière saccadée. Il se fige un instant, puis se retourne lentement vers moi. Son regard s’abat sur moi comme une tempête silencieuse.
— Tu viens de me remercier… pour t’avoir forcée ? répète-t-il, un sourire froid aux lèvres. Tu te rends compte à quel point tu te contredis ?
Je serre les dents, refusant de détourner les yeux.
— Je ne me contredis pas. Je tente juste de rester polie malgré votre comportement exécrable.
Il franchit la courte distance qui nous sépare et s’arrête juste devant moi. Je sens son souffle. Mes poings se referment à nouveau.
— Tu veux t’en aller, et moi, je ne compte pas te lâcher. Faudrait que tu comprennes ça dès cet instant. Peut-être tu me trouveras abusif, collant, macho, et j’en passe, mais je le ferai sans hésiter à chaque fois si ça peut faire en sorte que je t’aie près de moi. Je ne veux pas te brusquer, mais je ne veux pas non plus te voir continuer à te battre contre moi et à me repousser en créant des barrières qui n’ont pas lieu d’être. Alexia, je suis conscient que tu as un passé, une vie avant moi, et même si je viens juste de croiser ton chemin, j’ai toujours eu ce flair… je sais reconnaître ce qui est bien pour moi quand je le vois. Et à chaque fois, je ne me suis pas trompé. Alors je vais te demander une dernière fois : cesse de lutter. Cette énergie que tu te donnes pour m’éloigner, sers-t’en pour essayer de découvrir qui je suis, car c’est à partir de là que tu pourras te faire une idée sur ma personne. Ainsi, tu prendras plus tard une décision plus logique et réfléchie.
Je l’écoute dans un état second. Ses mots me désarment. Il parle si bien que j’ai l’impression de ne plus avoir d’arguments. Mon cœur bat trop vite, mes pensées s’embrouillent. Je détourne les yeux, pas par faiblesse, mais parce que je suis en train de flancher, et je le sens.
Il ne me touche pas, ne tente aucun geste déplacé, pourtant sa présence m’enveloppe, m’envahit, m’atteint. Il attend, silencieux, me laissant digérer ses paroles.
Je respire profondément, essaie de remettre de l’ordre dans ce que je ressens. Je suis venue ici avec une carapace, avec l’intention de ne rien laisser passer, mais là… j’ai juste envie de baisser les armes, un tout petit instant.
— Et si je découvre une facette de vous que je n’aime pas ? finis-je par murmurer.
Un sourire, à peine visible, étire ses lèvres. Pas moqueur. Presque tendre.
— Alors tu partiras. Mais cette fois, ce sera une décision prise en toute connaissance de cause. Pas une fuite.
Son ton a changé. Il n’y a plus de tension, plus de froideur. Juste une honnêteté désarmante.
Je soupire et lève les yeux vers le ciel devenu grisâtre.
— Vous êtes épuisant.
— On me le dit souvent, répond-il en haussant les épaules. Mais je suis constant, si ça peut compenser.
Je le regarde à nouveau. Un instant. Long. Silencieux. Puis je relâche mes épaules, lasse.
— Très bien. On entre. Mais ne vous attendez pas à ce qu’on soit dans la même chambre.
— Cela ne m’a jamais effleuré l’esprit, dit-il dans un souffle.
Il me tient la porte, et je passe devant sans un mot. Pourtant, au fond de moi, je sais que quelque chose vient de basculer. Ce n’est pas encore de la confiance, ni de l’amour. Mais ce n’est plus de la guerre.
#mk
Une demi-heure plus tard, nous quittons l’hôtel pour nous rendre cette fois-ci au lieu de cérémonie. Je me sens plus détendue, plus vivante, et surtout moins stressée. Pendant que le chauffeur conduit, je m’évade en contemplant le paysage. Mes souvenirs remontent et mon cœur se resserre. Mon dernier passage ici m’a laissé un goût amer. J’espère qu’il ne sera pas de même ce tour-ci.
Quelques minutes après, le moteur du véhicule s’arrête, et sans attendre une seconde, j’ouvre la portière et sors en premier. Khaled, lui, prend tout son temps. Alors, je l’ignore et me dirige vers la concession familiale, déjà joliment décorée avec des motifs traditionnels. Des chapiteaux sont installés de part et d’autre dans la grande cour, et une musique aux rythmes culturels se joue.
Tout respire la joie, la fête, et cette sensation me met dans le bain directement. Je pénètre dans la maison et salue les personnes présentes en cherchant mon amie du regard. Ne la trouvant pas, je sors mon portable pour l’appeler, mais au même instant, mes yeux se posent sur une silhouette assise dans l’une des chambres entreouverte.
Je pousse la porte, tout sourire, mais je me fige ensuite quand je le vois. Mon rêve me revient comme pour me narguer. Il relève la tête et plonge son regard dans le mien. Je le fixe sans ciller. Il doit comprendre que tout ce que j’ai ressenti pour lui ne doit plus être qu’un souvenir. Lui y compris.