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KRIBI, JOYAU TOURISTIQUE EN PÉRIL?

Le cas des chutes de la Lobé

Jun 6, 2025 - 7 Minutes

Le 5 juin 2025 dernier, la communauté internationale a célébré la Journée mondiale de l’environnement; une journée qui met l’accent sur l’un des défis écologiques majeurs de notre époque : la pollution plastique. Ce thème mondial interpelle directement des territoires à fort potentiel touristique comme Kribi, dont la beauté naturelle est menacée par des pratiques environnementales irresponsables. Alors que le monde s’engage dans une transition vers un tourisme plus durable, Kribi, pourtant considérée comme la destination la plus prisée du Cameroun, donne à voir un paysage contrasté, entre promesses politiques et réalité alarmante. La beauté de ses plages, la qualité de ses fruits de mer et son paysage côtier unique font de Kribi un pôle d’attraction majeur pour les touristes. ‘‘Une importante partie des touristes (près de 50 000) dont la majorité est constituée d’Européens, Africains et Asiatiques (avec au moins 40 % de résidents) visitent Kribi chaque année (Tchindjang & Etoga, 2014)’’. Depuis une dizaine d’années, la ville a connu une transformation rapide avec l’implantation de projets industriels d’envergure, provoquant une forte croissance démographique et une pression accrue sur les sites touristiques.

Parmi eux, les chutes de la Lobé, lieu unique au monde où une chute se jette directement dans l’océan Atlantique, devraient être le fleuron du tourisme national. Pourtant, en 2025, ce site emblématique est en péril. Pollution, dérégulation et dégradation du patrimoine y prospèrent, dans un silence institutionnel intriguant. Ce contraste entre les ambitions affichées (comme celle de faire de Kribi une “ville intelligente”) et l’anarchie observable sur le terrain soulève une question fondamentale : comment expliquer un tel échec des politiques locales face aux exigences du tourisme durable ?

Notre analyse vise à mettre en lumière cet échec, en identifiant les principaux dysfonctionnements qui gangrènent le secteur touristique local, et à lancer un appel fort aux acteurs concernés, tant au niveau local que national, pour une reprise en main urgente de ce patrimoine commun à notre humanité.

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Avant toute chose, il faut revenir sur les maux principaux qui gangrènent le tourisme à Kribi et plus précisément aux chutes de la Lobé. Nous en avons identifié trois (3) à savoir; l’absence de régulation des prix, la pollution, et la destruction du paysage naturel. 

1. l’absence de régulation des prix 

Dès la descente du bus, le touriste qui ne connaît pas la ville est pris en otage par des taximen véreux qui imposent des prix parfois irraisonnables même pour des petites distances en zone urbaine. Au niveau des chutes de la Lobé, il règne un véritable capharnaüm. L'accueil des touristes est d’une agressivité indescriptible. Tout commence au parking avec la horde de guides autoproclamés et vendeurs qui harcèlent le visiteur, le pressant d’acheter ou de s’engager dans une activité sans transparence. Des exemples concrets rapportent des situations où les touristes, n’ayant reçu aucune information préalable sur les prix, se voient facturer des services à des tarifs arbitraires, souvent déconnectés de toute cohérence (ex. : 15 000 FCFA pour trois soda). Ce type de comportement illustre des pratiques malsaines et cela vaut pour la balade en pirogue, le tour en quad, jet-ski etc. Cette arnaque généralisée, pratiquée sans vergogne par certains de ces acteurs locaux, restaurateurs et guides touristiques, transforme l’expérience du visiteur en cauchemar. Il faut le dire, le problème n’est pas le prix en lui-même mais l’absence de régulation et d’harmonisation. Ce manque de régulation tue l’attractivité de Kribi. À l’échelle mondiale, le tourisme génère 1 900 milliards USD en 2024, soit 3 % du PIB global, et emploie des millions de personnes. Au Cameroun, il représente 1 % du PIB et pourrait faire bien plus avec une stratégie sérieuse. En Afrique du Sud, les arrivées touristiques (7,6 millions en 2023) sont soutenues par des prix transparents et des standards clairs (OMT. 2024, 19 janvier). Pourquoi Kribi, avec son potentiel unique, se complaît-elle dans cette anarchie ? Autorités, où sont les grilles tarifaires officielles ? Acteurs du terrain, quand cesserez-vous de voir chaque touriste comme une proie ? Une régulation stricte des prix, affichés publiquement, et des sanctions pour les abus sont une urgence absolue. Sans cela, Kribi restera une destination où l’on vient une fois… et jamais plus.

2. Une plage souillée : 

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Kribi se rêve en « ville intelligente », mais ses plages et ses sites emblématiques crient le contraire. Les chutes de la Lobé, joyau naturel, sont devenues un dépotoir à ciel ouvert. Marcher sur la plage est une épreuve : bouteilles plastiques, sachets, déchets ménagers jonchent la plage ; pareil pour le petit village des Bagyeli (Pygmées)  où le décor est fait de sachets de whisky. Nager dans la zone des chutes n’est pas toujours aisé à cause des ordures. Cette pollution, visible aux yeux de tous, est une insulte à l’image d’une ville touristique. À l’heure où le tourisme durable est une priorité mondiale, Kribi affiche une mentalité moyenâgeuse qui choque. La responsabilité incombe collectivement à tous les acteurs: restaurateurs et vendeurs ambulants, et même certains visiteurs qui jettent leurs déchets sans scrupule, et contribuent à ce désastre. Les autorités locales (Mairie, Ministère du tourisme et des loisirs etc) n’ont-ils de tourisme que dans les discours, mais aucune action réelle sur le terrain? Aucune inspection, ni campagnes de sensibilisation. pas de poubelles aux abords des sites touristiques; pas de censure; pas de toilettes… Selon un article paru en 2018 dans Cameroun-actu, 95% des plages de Kribi sont mal entretenues(Camerounactu. 2018, 15 juin). Le Kenya et le Rwanda, avec leurs politiques anti-plastique, attirent des millions de visiteurs grâce à des environnements préservés. La ville de Kribi, elle, va repousser les touristes par son incurie. Faut-il rappeler aux différents acteurs du tourisme, qu’une destination propre est un investissement, pas une corvée? Que faut-il pour que les autorités comprennent qu’il faut mettre en place des infrastructures de gestion des déchets et des campagnes éducatives. Une ville polluée n’attire personne.

3. La Lobé:  un patrimoine mondial profané

Les chutes de la Lobé, uniques au monde pour leur déversement direct dans l’océan, ont été proposées au patrimoine mondial de l’UNESCO en février 2018 (unesco, s.d). Ce label, attribué à des sites d’une valeur universelle exceptionnelle, impose une responsabilité collective afin de préserver leur intégrité pour l’humanité et les génération future. Pourtant, à Kribi, ce patrimoine est livré à la destruction. Des hommes d’affaires véreux, profitant de la complaisance administrative, et de la vulnérabilité des villageois ont acquis des terres autour des chutes pour des projets commerciaux. Des terrassements privés et sauvages défigurent le paysage naturel, remplaçant la verdure par des monticules de terre et des constructions anarchiques. Cette profanation est une trahison de notre héritage commun. Comment une administration, si prompte à confisquer les terres des villageois pour des « projets d’utilité public » souvent fictifs, peut-elle fermer les yeux sur cette destruction ? Où est la surveillance du ministère de l’Environnement ? Où sont les sanctions contre ces promoteurs sans scrupule ? Le tourisme mondial repose sur la préservation des sites d’exception : l’UNESCO rapporte que les sites classés génèrent des milliards de dollars et des millions d’emplois. À Kribi, ce trésor est-il dilapidé par manque de culture environnementale ou alors par corruption? N’est pas temps de réellement protéger la Lobé avec des mesures concrètes telles que, l’interdiction d’établissement des titres fonciers et des constructions dans la zone protégée? Kribi regorge de beaucoup de potentialités et c’est une destination qui peut rivaliser avec les plus belles destinations africaines. Mais sans stratégie ni actions concrètes, elle va se transformer en Douala bis, une ville où l’insalubrité, le banditisme et l’anarchie règnent. La pratique de l'éthique et du respect des normes s’imposent donc. Le tourisme est une manne pour le Cameroun. L'article intitulé « Tourisme : 930 sites touristiques reconnus, mais 4% contribution du secteur au PIB du Cameroun », publié le 7 avril 2025 sur le site Investir au Cameroun, fournit des informations détaillées sur le secteur touristique camerounais. Selon le ministre du Tourisme et des Loisirs, Bello Bouba Maïgari, le Cameroun compte 930 sites touristiques répertoriés, aussi bien naturels qu’artificiels. Ces sites participent à dynamiser un secteur qui contribue à hauteur de 4,1 % au produit intérieur brut (PIB) et génère environ 15 % des emplois, directs et indirects. (Investir Au Pays, 2025. ). 1,4 milliard d’arrivées en 2024, des milliards de dollars de recettes dont Kribi pourrait tirer profit pour créer de véritables emplois et rayonner.

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En conclusion, Kribi incarne les contradictions d’une destination à fort potentiel, mais mal encadrée. La dérégulation, la pollution et la dégradation du patrimoine naturel compromettent sa pérennité touristique. Le défi n’est pas l’attractivité car elle est avérée; mais la capacité institutionnelle à transformer cette attractivité en un modèle de développement durable. L'urgence est de penser une gouvernance territoriale intégrée, respectueuse des standards environnementaux, sociaux et économiques du tourisme du XXIe siècle.

Références: 

  1. Actu Cameroun. (2018, 15 juin). Cameroun – Environnement: 95% des plages de Kribi sont mal entretenues. https://actucameroun.com/2018/06/15/cameroun-environnement-95-des-plages-de-kribi-sont-mal-entretenues/ 
  2. Investir au Cameroun. (2025, 7 avril). Tourisme : 930 sites touristiques reconnus, mais 4% contribution du secteur au PIB du Cameroun. https://www.investiraucameroun.com/tourisme/0704-21863-tourisme-930-sites-touristiques-reconnus-mais-4-contribution-du-secteur-au-pib-du-cameroun 
  3. Organisation mondiale du tourisme. (2024, 19 janvier). Le tourisme international atteindra en 2024 les niveaux d’avant la pandémie. https://www.unwto.org/fr/news/le-tourisme-international-atteindra-en-2024-les-niveaux-davant-la-pandemie 
  4. Tchindjang, M., & Etoga, M. H. (s.d.). Les chutes de la Lobé, un patrimoine géoculturel exceptionnel sur la côte camerounaise entre tourisme durable et préservation des identités culturelles. Via@Tourism. https://doi.org/10.4000/viatourism.951 
  5. UNESCO. (2018). Le paysage culturel des chutes de la Lobé. https://whc.unesco.org/fr/listesindicatives/6330/ 

 ©photo 1 : Visiter le Cameroun avec moi https://web.facebook.com/visiterlecamerounavecmoi 

 ©photo 2, 3, 4, 5 Medy Georges