Chronique d’une randonnée inclusive au Mont Messa
Le samedi 29 mars 2025, l’aube s’est levée sur Yaoundé avec un souffle d’espoir et d’aventure. Un souffle qui, ce jour-là, allait guider mes pas et ceux d’une vingtaine de compagnons vers les hauteurs du Mont Messa. Une randonnée ? Oui. Mais pas n’importe laquelle. Une randonnée inclusive, dans le cadre de la troisième édition des Diversity Days, un événement qui célèbre le public handicapé, et qui, cette année, a choisi pour thème : « Le sport inclusif : un levier pour le bien-être et le lien social ».

Une ascension, trois étapes, une seule direction : le sommet
Nous étions vingt, voyants, malvoyants, non-voyants, réunis dans une même dynamique : celle du partage, du dépassement, de la découverte. Le Mont Messa, d’une altitude d’environ 1015 mètres, n’était pas seulement notre destination. Il était notre terrain d’union.
La randonnée inclusive s’est déroulée en trois étapes, chacune comme une métaphore de la vie, avec ses obstacles, ses beautés cachées, ses surprises.

Étape 1 : Les ruines, la mémoire, et les histoires
Nous avons débuté par la traversée des ruines de l’ancienne carrière qui a donné son nom au quartier : Messa Carrière. J’ai pris quelques instants pour raconter à mes compagnons l’histoire du lieu. En langue Ewondo, Messa est le pluriel de Assa, le prunier. Ces collines abritaient autrefois la société Dragages-Cameroun, exploitant intensément ses flancs jusqu’en 1984. Aujourd’hui, un énorme trou béant, vestige de cette activité, raconte silencieusement le passé industriel de la colline.

Ce décor, à la fois brut et chargé d’histoire, a éveillé chez nos participants une attention particulière. Les malvoyants sentaient les variations du sol sous leurs pieds. Là où nous voyons, ils ressentent.
Étape 2 : Le souffle des champs
Puis, nous avons entamé la montée entre les champs de maïs, sur une route en terre dégagée. Le soleil déjà haut jetait ses rayons sur les jeunes pousses, et l’air, bien que chaud, portait une promesse de renouveau. C’est ici que la randonnée a commencé à faire parler les corps. Les muscles se sont tendus, les souffles raccourcis, mais les cœurs, eux, battaient en harmonie.
Angello Gangoum, non-voyant à Yaoundé, m’a confié : « Le défi que la randonnée représente pour le déficient visuel est qu’elle lui permet de percevoir les choses, notamment l’obstacle qui se dresse devant lui. Il y a ce qu’on appelle la proprioception : cette faculté à ressentir la difficulté, à ressentir les obstacles. C’est un défi ! »

La proprioception, ce sens que l’on oublie souvent, prend ici toute son ampleur. Pour ceux qui ne voient pas, marcher, grimper, s’orienter, c’est une bataille silencieuse, mais aussi une victoire sensorielle.
Étape 3 : La broussaille et l’arbre tombé
La dernière partie fut la plus acrobatique. Une piste étroite, envahie par la broussaille, nous a obligés à nous courber pour franchir un arbre couché, comme un gardien naturel de la cime. Ce moment, presque symbolique, a provoqué des rires, des encouragements, des mains tendues. L’inclusion, ici, n’était plus un concept. C’était un acte.

Et puis, soudain, le sommet.
Au sommet : le souffle du lien
Le Mont Messa s’est offert à nous, magnifique, majestueux. De là-haut, une vue panoramique sur Yaoundé, et un vent frais comme une récompense. Nous avons respiré. Longuement. Profondément. Ensemble.

Lucrese Raissa Ngansop Fobasso, déficiente visuelle et participant ainsi à sa deuxième randonnée, s’est exprimée avec une énergie communicative : « C’est relax, ça relaxe. C’est vrai que pour monter, ce n’est pas facile, mais on se bat du mieux qu’on peut et ça fait du bien. »

Un jeu de groupe a éclaté. Des rires ont fusé, des voix se sont élevées, et dans cet instant suspendu, les barrières ont fondu. Il n’y avait plus de valides ou de non-voyants. Il n’y avait que des êtres humains, unis par l’effort, la nature, et la joie.
Elthon Djeutcha, journaliste et participant voyant, a résumé avec justesse ce que chacun ressentait : « J’avais un peu l’air stressé le matin. Arrivé au sommet, je suis comme requinqué, comme revigoré… J’ai écouté le son de la nature, c’est apaisant ».

La randonnée inclusive plus qu’un sport, une école de vie
La randonnée, pour les déficients visuels, est bien plus qu’un exercice physique. C’est un entraînement à la vie elle-même. La randonnée inclusive développe l’équilibre, la kinesthésie, la conscience de l’espace. Elle réveille le corps et l’esprit. Elle redonne confiance.
Yves Wansi, malvoyant et organisateur des Diversity Days, nous rappelle : « La randonnée est importante pour le handicapé visuel parce qu’elle développe plusieurs éléments essentiels, notamment la proprioception, l’équilibre, la kinesthésie, l’espace ».

Son engagement est admirable. Il a fait des Diversity Days un lieu de rencontre, de courage et de fraternité. Outre la randonnée, Yves a mis en valeur les handisports le vendredi 28 mars avec sept disciplines à l’ordre du jour : Cécifoot, Basket-fauteuil, Tennis-fauteuil, Goalball, Taekwondo et Mouv and speak.
Une leçon d’humanité
Je suis redescendu du Mont Messa plus léger. Non pas parce que la pente était plus douce à la descente, mais parce que mon cœur était rempli. Rempli de voix, de rires, de mains serrées. Rempli d’une certitude : la nature est un lieu de guérison, de lien, et d’égalité.
La randonnée inclusive n’est pas qu’un sport. C’est une école d’humanité, un pont entre les différences. C’est la preuve que, même sans voir, on peut aller loin. Très loin. Jusqu’au sommet.

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- À refaire ? Évidemment. À partager ? Absolument. À vivre ? Incontournablement.
Au Mont Messa, ce 29 mars 2025, nous avons gravi bien plus qu’une colline. Nous avons gravi les murs invisibles de l’exclusion. Et au sommet, nous avons trouvé l’essentiel : l’autre.