Quand les velléités politiques fabriquent l’histoire: le cas de Kribi.
La diffusion le 16 août 2023 dernier du film documentaire sur le roi Madola ma Dimalè à la télévision nationale camerounaise (CRTV) a suscité un élan de jalousie et de haine chez certains pseudo historiens de la communauté Mabea. C’est ainsi qu’a circulé dans plusieurs forums, un message totalement ubuesque dont le but était de dévier l’opinion sur l’illustre personnage; et même de l’effacer de l’histoire du Cameroun. Je vous laisse lire le message en question tel qu’il a été publié:CC

“Quelques points sur les i quand même. Il y a les choses qu'on raconte et celles qui sont vérifiables par l'Histoire car il y a une différence entre l'Histoire et les histoires. A la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle ici dans l'espace qui est aujourd'hui le département de l'océan, selon la nomenclature allemande, il y a 3 peuples qui sont organisés comme des royaumes, avec un territoire important et un leader charismatique. Ce sont les Bulu dirigés par Oba'a Mbeti depuis Ebemvock, les Mbvumbo dirigés par le roi Ntunga Nziu depuis sa capitale Bongolo et les Mabi dirigés par Nguieburi Mimpara puis Ntunga Nzambi depuis Mandoua qui est aujourd'hui appelé Mokolo à Kribi. On ne trouve pas de trace d'un royaume Batanga car à cette époque ce nom même désigne exclusivement un petit peuple qui vit de pêche à l'embouchure de la lokoundje. C'est au 20ème siècle que les colons Blancs imposent l'utilisation du nom Batanga pour désigner tous les peuples de notre région qui ont des parlers qui sont proches. Pour ce qui est des résistants, les allemands eux-mêmes reconnaissent que dans l'Océan, seuls 3 leaders ont mené une résistance farouche à leur colonisation. Il s'agit de King Biang de Mayesse en 1892-1893, combattu par le capitaine Kanzler Wehlan ; King Ntunga Nziu en 1889 combattu par le Sous-Lieutenant Morgen ; Oba'a Mbeti en 1899-1900 combattu par le Baron Von Malsen. Dans cette liste des résistants publiée par les allemands, on ne trouve pas le nom de Madola. Or sa communauté affirme qu'il a combattu les allemands mais les allemands eux ne reconnaissent pas que quelqu'un portant ce nom les a combattu. Sauf peut-être à leur insu, ce qui est impossible et plutôt comique. Mais les Allemands l'ont quand-même exécuté à Ndoua. Ça veut dire qu'il a été arrêté et exécuté non par pour faits de résistance mais pour un autre motif de droit commun. Lequel alors ? Il est important que les jeunes générations soient imprégnées de ces vérités et ces questionnements afin de ne pas se laisser impressionner ou intimider par le mensonge et l'imposture ambiants.

Pour regarder l'émission en connaissance de cause. Il n'est pas possible que Madola ait régné sur le territoire évoqué supra car à Campo, il n'ya pas les Batanga mais les Iyassa et c'est chez eux que fut envoyé en exil Dicka Mpondo par les Allemands. Madola a hérité la chefferie de qui ? Son père ? Il n'ya aucune trace historique de sa dynastie. Madola fut tué à Ndtoua pour des raisons de droit commun par les Allemands.’’
Ce message qui a semé le doute chez plus d’un, a suffit pour me sortir de ma réserve habituelle pour ce qui est de ce sujet important : ’’ l’histoire de Kribi’’. Étant donné que je fais un travail de recherche depuis une dizaine d'années sur cette histoire et que le résultat de ce travail de fond fera l’objet d’une publication scientifique, je me limite donc à quelques paragraphes d’un document d’archive pour démonter ce que l’on qualifierait sans réserve de ‘’protochronisme’’ mabea.
De prime abord, il est nécessaire de situer dans le temps la période citée dans ces propos, c’est-à-dire le 19e siècle.
Le XIX e siècle (ou 19 e siècle) va du 1er janvier 1801 et au 31 décembre 1900. C’est à cette même période que le consul Britannique dans la baie de Biafra et l’île Fernando Po du nom de Thomas Joseph Hutchinson, publie un ouvrage intitulé ‘’Ten years’ wandering among the ethiopians; with sketches of the manners and customs of the civilized and uncivilized tribes, from Senegal to Gabon’’ (Dix ans d'errance parmi les Éthiopiens ; Avec des croquis des tribus civilisées et non civilisées, du Sénégal au Gabon). Le livre est paru en 1861 donc exactement à la période où les historiens Mabea situent l'existence de leur royaume sur la côte kribienne tout en niant l'existence d’un royaume Batanga.

Je partage alors ici quelques extraits de cet ouvrage que j’ai pris le soin de traduire afin d’édifier les lecteurs et de faire taire définitivement l’inculture. Il faut tout de même noter que certains noms d’usage à cette époque ne sont plus d'actualité à ce jour et que j’ai fait le maximum d'efforts pour rester fidèle au texte d’origine qui est lui aussi dans un anglais ancien.
Page 224-225 The Batanga territories /Les territoires Batanga
‘’Des informations antérieures concernant la partie Batanga de la côte me font désirer de demander aux autorités géographiques et topographiques la permission de subdiviser la baie de Biafra en deux segments.celui qui s'étend du cap Formosa à la pointe Rumby, sur le côté ouest de la base du Mont Kameroons ; et l'autre s'étendant de là au cap Saint-Jean. L'une de mes principales raisons à cela est que les anciennes circonscriptions sont connus de moi et de tout le monde comme les localités marécageuses et impaludées d'où, par le passé, les esclaves constituaient les principales exportations, comme l'huile de palme l'est dans le présent ; où, comme cette dernière étendue de rivage est représentée comme étant diversifiée par de hautes montagnes s'élevant à l'intérieur, n'ayant pas de marécages, pas de paludisme, produisant un peu d'huile de palme et de la seule station de Batanga, produisant plus de quarante tonnes d'ivoire par an.
Bien que les cartes ne le disent pas, il existe deux territoires Batanga. Petit Batanga, plus au nord et à l'ouest, est avec une rivière du même nom, inclus dans la plus grande partie du territoire enfermé dans la baie de Panavia.
Grand Batanga comprend le territoire sur la côte qui s'étend du cap Gara-jam à la rivière Campo, sur une distance d'environ quarante-trois milles. Ces deux districts sont habités par les tribus Bapooka et Banâkâ ; et cela semble une justification supplémentaire (si une telle chose était nécessaire) pour mon désir de savoir quelque chose à leur sujet, à partir de ma propre observation personnelle, que comme je suis informé qu'aucun esclavage domestique n'existe parmi eux, et qu'ils n'ont jamais été connus comme des vendeurs d’esclaves dans le commerce international.’’
Note:
Mont Kameroons =Mont Cameroun
Les tribus Bapooka et Banâkâ = Bapuku et Banoko (Banoho)
Quarante-trois milles (43 milles)= env. 69 km
Page 231-232 A visit to King William/ la visite au Roi William
‘’En attendant que le soleil baisse d’intensité afin que je puisse faire une promenade agréable d'environ trois milles jusqu'à la cascade, j'ai appris que la demeure de Sa Majesté le roi William n'était pas loin, et je lui ai donc fait part de ce que je me proposai de lui faire l'honneur de me mettre à sa disposition dès qu'il sera prêt.
J'ai trouvé que c'était la formule d’usage. Environ une heure après qu'on m'a dit qu'il m'attendait, je me rends donc à la résidence royale, non pas avec des fanfares de trompettes, des battements de tambours ou des cabrioles de chevaux, mais avec la simple présence d'un nègre musclé, qui s'est porté volontaire pour tenir mon grand parapluie au-dessus de ma tête.
Je n'avais pas marché longtemp sur l'ombrage des feuilles de plantain, et entre les huttes jusqu'à ce que j'ai vu une grande bannière rouge tendue sur la rue du haut d'une maison à l'autre, sur laquelle le nom du roi William était imprimé en lettres blanches chacune d'un pied* de long. sous l'extrémité droite du drapeau, et à la porte de la petite maison, était assis un vieillard aux cheveux gris, vêtu d'un pantalon blanc, d'un bonnet de tissu bleu à bande d'or et d'une redingote légère. C'était le roi William.’’
Note:
Un pied (unité de mesure) = 30 cm
Trois milles (3milles) = 4km
La cascade = les chutes de la lobé
Page 240 The Montain Naanga /Le mont Naanga
‘’Le Mont Naanga, déjà mentionné, était décrit comme ayant un grand lac dans ses environs, appelé Etibu. A l'intérieur de la montagne se trouvent les pays Boola et Gumbe d'où l'ivoire est ramené à Batanga et au Gaboon par une tribu de bushmen réputés, connus sous le nom de Dauberi, ou Diberi. Au-delà ou autour des pays Boola et Gumbe, aucune tribu, à l'exception des Bowela et des Bani, n'est connue de ces derniers qui montent à cheval et portent des peaux de singe, ayant également de longs cheveux, qui, façonnés en trois ou quatre tresses, tombant sur le dos.’’
Note:
Boola et Gumbe font référence aux boulu et Ngumba.
Dauberi, ou Diberi : il s’agit ici des Mabea/Mabeya ou Dibéya (sing.) en langue Batanga. Un détail grammatical qui n'est pas ressorti dans leur propre langue, puisque dans leur formulation *Mabi* est invariable. Ce qui est visiblement un nom qui leur a été attribué par les batanga.
Bowela =Baweya (appellation de l’ethnie pygmée de la région).
Dans ce dernier texte en particulier, nous avons donc la preuve que cette zone, la côte kribienne était connu sous l'appellation Batanga et que le nom Kribi est postérieur à cette période; que les Mabea étaient un peuple de la forêt qui était réputé dans le transport d’ivoire du pays boulu au pays Batanga et au Gabon.
Dans le deuxième texte, et le premier, nous avons des éléments de réponse sur l’étendu du territoire Batanga et aussi sur la lignée royale Batanga car le Roi William Dimalè (Imalè en Bapuku) cité ici n’est autre que le père du Roi Madola; lui qui signa le 30 Mars 1842 le traité de protectorat avec les français.
Avec ces arguments, il est donc question de se demander de quel côté se trouve l’imposture. Est-ce sur la base de mensonges de cette nature que se fait la réécriture de l’histoire du Cameroun?

Je ne pense pas qu’il est véritablement de l’intérêt des Mabea de procéder de cette manière pour réclamer une certaine valeur ou une existence quelle qu’elle soit (culturelle, politique par exemple); car ce n’est pas aux Batanga que le mal est fait mais aux jeunes générations Mabéa qui sont mouler dans des faux concepts, le mensonge et le déni de leur véritable identité.
L’histoire n’est pas un objet d’art qu’on polit pour rendre beau aux yeux des spectateurs, c’est bien de la connaissance, le récit des événements du passé: c’est une science.