Le crime de Nanga Eboko ou la schizophrénie de la société camerounaise

Il y a tout juste une semaine, le Cameroun s’est réveillé dans l’émoi : une jeune femme a été décapitée à son domicile à Nanga Eboko ; ainsi que ses trois enfants, sa petite sœur et sa cousine ! Selon les premières rumeurs, l’auteur de cette barbarie pourrait être l’ex de cette jeune commerçante de trente ans qui s’appelait Vanessa Youbi Kamga.
Mais en réalité, c’est toute la société camerounaise qui a déjà basculé dans une sorte de schizophrénie...
Il faut se rappeler que le 17 janvier dernier, un journaliste du nom de Martinez Zogo avait été sauvagement assassiné après avoir été copieusement torturé ! Ici même à Douala, on a vu une femme enceinte éventrée dans son propre bar. Des prélats sont tués tous les jours sous silence, des hommes fortunés sont cambriolés voire froidement abattus, et la population a fini par faire passer tous ces actes macabres et répétitifs, pour de simples faits divers.
À vrai dire, la société camerounaise est complètement malade. Schizophrène, j’ai envie de dire. Nous vivons dans un environnement de suspicion permanente, car les empoisonnements sont devenus légion. La vie humaine n’a presque plus de valeur, et c’est en sirotant notre bouteille de bière qu’on parcourt les rubriques liées à la nécrologie.
Modeste Mbami est mort dans l’indifférence générale, pourtant un valeureux Lion indomptable ! J’ai le sentiment que n’importe quelle mort au Cameroun va devenir banale, tellement la vie humaine a perdu sa sacralité. Les gens vivent dans un stress perpétuel et une peur du lendemain qui ne laisse aucune place aux sentiments d’apitoiement. On aime s’exclamer lorsqu’il y a un accident de la circulation, mais ce sont ces mêmes personnes choquées qui prennent les photos des cadavres avec leurs smartphones, lorsqu’ils ne les dévalisent pas tout simplement...

Le crime est devenu ordinaire. On tue déjà pour un oui ou pour un non : héritage familial, dettes, jalousie et envie, sorcellerie, trafic d’organes, argent facile, adultère, etc. La vie est devenue tellement difficile que certains Camerounais n’ont plus rien à perdre, d’ailleurs ils sont sûrs de manger en prison alors qu’ils ne sont même plus sûrs de pouvoir bien se nourrir à l’extérieur...
Et dans tout cela, il y a le capharnaüm dans lequel nous vivons. On ne s’en rend pas compte, mais cela nous crée des troubles psychologiques indescriptibles et des dégâts mentaux majeurs. Par exemple, la circulation. Tout le monde roule dans tous les sens et tout le monde klaxonne à l’emporte-pièce. Les embouteillages sont visibles sur tous les tronçons, la faute à un aménagement de la ville qui n’a pas du tout été anticipé.
La faute aussi à des bendskineurs qui vont finir par devenir indénombrables.
Les bars. Les bars et les snack-bars pullulent à chaque coin de rue. Ils rivalisent de volume et les clients se retrouvent tympanisés avec des chansons hétéroclites qui n’ont pour seule caractéristique que le bruit assourdissant. Et dans une telle ambiance les gens ne peuvent que crier, se disputer, se soûler la gueule, se draguer entre eux, etc.
Le contexte de paupérisation généralisée a créé des vices telles que la prostitution déguisée, qui est devenue pratiquement monnaie courante et qu’on a rebaptisée le Piment. Les mauvais modèles sont érigés en exemple, tels que les influenceuses et les influenceurs dont l’éthique et la morale sont indiscutablement très contestables. Les jeunes adolescents sont prêts à vendre leur propre mère afin d’accéder rapidement à la richesse matérielle, et les opposants politiques ne détiennent plus aucune idéologie. On les voit rejoindre le parti au pouvoir en cascade dès lors que celui-ci leur offre une petite opportunité de mangement.
Les gens ne croient plus en l’Etat du Cameroun. Une petite clique de quelques vieillards grabataires dilapide toute notre fortune publique pour leurs funestes intérêts personnels. Les pontes du régime détournent des milliards de francs CFA et ils vaquent en liberté, tandis que les petits voleurs de chèvre sont condamnés à plusieurs mois de séquestration. Les gens qui sont frustrés ou qui revendiquent l’équité sont condamnés à sept années d’emprisonnement ferme, tout simplement pour avoir osé marcher dans la rue.
Quel message renvoie ainsi notre Justice ? Dans un pays où même la Justice se révèle injuste, comment pensez-vous que des citoyens continueront de demeurer mentalement équilibrés ?

Nous sommes des fous ambulants, en quelque sorte. Nous ne savons pas jusqu’où nous pouvons aller, et quels sont les crimes que nous serons capables de commettre à l’avenir, si une situation analogue se présentait en face de nous. Nous sommes dans un environnement qui a banalisé le vol, le viol, la sexualité désordonnée, le laxisme et les incompétences des personnels sanitaires, la disparition de bébés, les crimes rituels, bref, le vice. Les gens qui sont honnêtes croupissent sous la difficulté de la vie au Cameroun, avec des services publics qui ne sont pourtant pas effectifs (électricité, eau potable, réseau téléphonique...). Les prix des denrées alimentaires vont finir par devenir insupportables, de même que le prix du carburant, du loyer, des transports, du titre foncier ou encore des matériaux de construction. Les Camerounais sont de plus en plus nerveux et misérables, d’ailleurs il suffit d’un bonjour mal placé pour que la situation vire immédiatement vers un crime irrationnel.
On aurait pu s’éterniser sur tous nos maux, mais le diagnostic médical prendrait des centaines de chapitres. Le drame qui est survenu à Nanga Eboko était d’une barbarie à nulle autre pareille, avec des décapitations et des mutilations inimaginables, mais, curieusement, notre vie continuera de se dérouler tranquillement comme auparavant.
Car nous sommes un peuple de schizophrènes qui n’a pour seule préoccupation que la jouissance et le voyeurisme à travers les réseaux sociaux...
Ecclésiaste Deudjui
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Article publié sur wutsi.com/@/clesh7