L’accident de Dschang ou la culture de l’indignation

Voilà, quelques jours sont passés depuis le tragique accident survenu vers la ville de Dschang. C’était plus précisément le mercredi 27 janvier 2021, aux environs de 4h du matin. Le bilan actuel fait état de 53 morts enregistrés et de plusieurs blessés graves.
Je n’ai pas voulu m’exprimer sur le sujet à chaud, parce que j’avais peur –c’est un bien grand mot– des représailles. Car dans ces circonstances il y en a toujours qui vont vous rabrouer sur un post, qui vont vous donner des cours de morale, et d’aucuns vont même aller jusqu’à vous distribuer des leçons de commisération...
Je pleure d’abord les victimes de Dschang. Là n’est pas le sujet. Tout comme j’ai pleuré les victimes précédentes lors des nombreuses catastrophes que nous subissons ici régulièrement. Je suis attristé non pas parce que je suis un Bamiléké, mais davantage parce que je suis un Camerounais. Et de surcroît un humain.
Mais, au-delà de cette indignation, nous devons nous interroger. Jusqu’à quand allons-nous continuer de pleurer ? Est-ce un nouveau sport que nous pratiquons ? Est-ce une discipline d’assimilation identitaire voire un divertissement récurrent ? Car avant de pleurer, nous devons constater les faits :
1- L’accident a eu lieu aux aurores, c'est-à-dire dans un moment de visibilité réduite. Mme le Gouverneur de la région de l’Ouest a d’ailleurs carrément mis en cause le brouillard.
2- L’accident s’est déroulé entre Melong et Santchou, près de Dschang, dans une zone très connue de cette route nationale N°5 qu’on appelle La Falaise. Cette « piste » est étroite, elle est interminable de virages à angles droits, et pour couronner le tout elle est située sur une colline à 90°.
3- Le camion qui est impliqué dans cet accident transportait du carburant, et il n’avait plus des freins en bon état.
4- Le carburant transporté était du carburant frelaté.
5- L’agence de voyage Menoua, puisqu’il s’agit d’elle, transportait sensiblement une quatre-vingtaine de passagers. Et cette surcharge s’est faite dans un bus qui présentait de sérieux signes de vétusté.

Je m’arrête là, sinon je ne terminerai jamais mes constats. On peut aussi remarquer que depuis la tragédie, tout le monde est devenu Dschang. Je suis Dschang, tu es Dschang, ils ou elles sont Dschang. D’accord ! Mais dernièrement nous étions Ndikiniméki, auparavant nous étions Ngouaché, et plus aléatoirement vous avez déjà été Kumba, Eséka, Nsam, Florence Ayafor et que sais-je encore !
Personne ne s’interroge jamais sur les causes. Ce qui nous préoccupe, c’est de s’indigner et de pleurnicher. Personne n’a cherché à comprendre les conditions de cette catastrophe. Est-ce que le(s) chauffeur(s) avai(en)t bu de l’alcool ? Est-ce que l’asphalte était glissant ce jour-là ? Est-ce que les pneus présentaient une bonne adhérence ? Et surtout : COMMENT POUVONS-NOUS ÉVITER QUE DE TELLES CATASTROPHES SE REPRODUISENT ?
Un camerounais averti en vaut quatre. Alors cessons d’être des voyeurs et des sado-masochistes. Arrêtons de fantasmer sur les histoires tragiques du genre « Je connais une femme dans cet accident qui a perdu tous ses quatre enfants. » Et puis quoi ? Pourquoi sommes-nous autant fascinés par le sang ? Pourquoi aimons-nous « contempler » les histoires macabres et les raconter avec autant de délectation sur les réseaux sociaux ? J’ai le sentiment que nous avons développé une sorte de fascination pour la tragédie, et que nous nous nourrissons de la violence des images macabres que nous recevons.
Les accidents comme ceux de Dschang devraient plutôt nous interpeller sur notre sécurité routière. Ils devraient nous faire réfléchir sur les voyages de nuit. On devrait se demander, après de tels drames, ce qu’il faut faire pour améliorer l’état de nos routes. Les conditions de vie de nos chauffeurs. L’encadrement et le confort de nos passagers. La sécurité des vies humaines, tout simplement.
Parce que s’il faut passer tout son temps à se lamenter devant des catastrophes répétitives, et ne rien faire pour les éviter à l’avenir, eh bien moi je vais cesser de m’indigner avec vous.
S’il faut tout le temps ouvrir des enquêtes qui ne se referment jamais, et qui ne nous produisent aucun résultat ni aucune recommandation décisive, moi je vais arrêter de vous plaindre.
La culture de l’indignation éternelle doit cesser d’être une discipline artistique ici au Cameroun. Nous devons nous réveiller !
Ecclésiaste Deudjui
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